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Le point sur l'année écoulée & perspectives 2024 Florian D’AGOSTINI - Dominique MARCHESE - Jean Philippe VANDERBORGHT, Analysts & Fund Managers, 2023-12-31

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Il y a un an jour pour jour, il aurait été difficile d’imaginer que l’année 2023 aboutirait à un aussi bon cru tant les sujets délicats étaient multiples. Les questions autour de la dynamique inflationniste étaient nombreuses. Le conflit en Ukraine restait en toile de fond. Surtout, les banques centrales poursuivaient sans relâche leur cycle de resserrement monétaire. D’ailleurs, c’est ce dernier point qui a engendré (en partie) le plus gros coup de chaud des marchés financiers en 2023, lorsque plusieurs banques régionales américaines ont annoncé leur faillite. C’est au même moment que Crédit Suisse a été sauvé in extremis par UBS en un temps record sous le regard des autorités suisses. Ces évènements sans grandes conséquences ont été autant de piqûres de rappel pour les investisseurs. Par la suite, a contrario, la seconde partie de l’exercice a vu le ralentissement de l’inflation se confirmer et le ton des banques centrales changer (surtout en fin d’année). La forte hausse des taux d’intérêt réels en dollar durant l’été a toutefois alimenter la volatilité des marchés.

D’un point de vue croissance économique, dans un cycle toujours aussi unique, les États-Unis ont offert une belle résistance en 2023 avec un gros support de la consommation et du déficit budgétaire fédéral. En Europe, les chiffres ont été plus décevants, avec un ralentissement plus prononcé, notamment en Allemagne. Enfin, à l’autre bout du monde, la Chine a continué à inquiéter avec un rebond domestique poussif et un secteur immobilier toujours en difficulté.

Dans ce contexte très incertain, les marchés actions auront progressé sur une grande partie de l’année, que cela soit en Europe ou aux États-Unis. Les désormais célèbres « Magnificient Seven » (leaders de la technologie américaine) et plus généralement le secteur de la tech. auront été les plus gros contributeurs de la hausse des marchés américains. En Europe, c’est clairement et largement le segment des semi-conducteurs qui aura surperformé, profitant de l’élan global lié à l’intelligence artificielle. Nous soulignons aussi les belles performances du secteur bancaire, des équipementiers énergétiques et des sociétés de services. Evidemment, les différents composants de la cote mondiale n’affichent pas tous les même degrés de progression en 2023. Nous devons rester circonspects à l’égard des performances affichées par des indices ultra-concentrés. Les valeurs de la santé (hormis celles liées à la thématique obésité et à la technologie GLP-1), l’immobilier, les pétrolières ou les services aux collectivités ont par exemple affiché des performances plutôt modestes.

Au sein de l’univers obligataire, après des performances en demi-teinte jusqu’en octobre, le relâchement de la pression sur les taux d’intérêt après l’été aura permis un fort rebond des prix. In fine, après une année 2022 catastrophique, les segments obligataires sont tous de retour en territoire positif en 2023. Les instruments à duration plus longue auront même connu un dernier trimestre de l’année particulièrement porteur.

Enfin, dans la sphère des devises, la paire euro dollar aura enfin retrouvé un peu de stabilité après une année 2022 particulièrement agitée. Le Yen a de son côté poursuivi sa dégringolade avec une Banque du Japon qui semble trop indécise pour les marchés financiers. Le Franc suisse et la Livre sterling sont les deux devises majeures qui auront progressé notablement contre l’euro au cours de l’année 2023.

A l’heure du passage à cette nouvelle année, plusieurs questions peuvent se poser. Quel dénouement pour les élections américaines ? Les marchés actions sont-ils devenus trop chers ? Le rallye obligataire peut-il se poursuivre ? La Chine va-t-elle réussir à redresser la barre? Tentons d’y voir plus clair. En route pour 2024 …

PERSPECTIVES 2024

Situation macroéconomique

La récession crainte par bon nombre d’observateurs pour l’exercice 2023 n’a en fin de compte pas eu lieu. On ne peut pas totalement exclure une récession simplement « postposée » en 2024, tant la sortie du covid et des distorsions sur les chaînes de production mondiales ont rendu ce cycle peu lisible, Sans compter les «traditionnels» risques politiques (gros calendrier électoral) et géopolitiques (conflits en Ukraine et au Proche-Orient)...

Cependant, le scenario le plus plausible nous semble être celui d’un atterrissage en douceur de l’économie – une performance pourtant rarement enregistrée après un resserrement monétaire aussi brutal. Mais la solidité des fondamentaux du secteur privé, le niveau élevé de départ des marges d’entreprises, une croissance décente du pouvoir d’achat des ménages et in fine un revirement monétaire des principales banques centrales constituent des soutiens de poids. La faiblesse du crédit, le modeste resserrement fiscal et un ralentissement limité du marché de l’emploi seraient ainsi absorbables pour aboutir à une croissance certes inférieure à son rythme de croisière, mais positive.

Le consommateur US devrait constituer la principale source de ralentissement économique. Il s’est bien prémuni de l’effet de la hausse des taux en se (re)finançant à taux fixe sur longue période, mais il a considérablement réduit son taux d’épargne au cours des deux dernières années. Et la frange la moins aisée de la population connaît un recours accru à l’endettement par carte de crédit – signe d’un rythme récent de dépenses probablement insoutenable.

La situation ne pourrait être plus différente en Europe, où les ménages n’ont pas dépensé l’excès d’épargne accumulé durant la période covid. Avec la dissipation du choc inflationniste, un retour du consommateur offre l’espoir d’une sortie de la phase de stagnation économique en seconde partie d’année 2024.

Constatant l’essoufflement du rebond post-covid, les autorités chinoises ont activé diverses mesures de soutien ces derniers mois. L’implémentation de ce stimulus devrait favoriser la croissance dans les prochains trimestres, mais la 2ème puissance mondiale n’en reste pas moins sur une trajectoire de décélération structurelle, liée notamment à la démographie et à la crise de son important secteur immobilier.

L’inflation a affiché des tendances très encourageantes en 2023. La baisse initiale est bien entendu venue du dégonflement des composantes liées aux matières premières. Mais l’inflation sous-jacente, quoique toujours supérieure aux objectifs des banques centrales à ce stade, a notablement ralenti en deuxième partie d’année. Le mouvement devrait se poursuivre en 2024. Les entreprises perdent de leur « pricing power » dans un environnement de demande moins ferme et les composantes loyers devraient ralentir, de même que les pressions en provenance du marché de l’emploi. Le risque de spirales prix/salaires semble avoir considérablement diminué avec la chute de l’inflation réalisée et l’ancrage des anticipations d’inflation. Au point qu’un retour sur les objectifs des banques centrales paraît accessible en 2025.

Dans ce contexte, le débat sur les grandes banques centrales s’est désormais déplacé vers le timing des premières baisses de taux. Le degré de restriction monétaire est en effet élevé et ne se justifierait plus avec une demande plus faible et une inflation en repli. Jerome Powell, le président de la Fed, s’est récemment montré très satisfait du comportement de l’économie. Sa collègue Christine Lagarde, à la tête de la BCE, est restée plus réservée, soulignant qu’il était trop tôt pour déclarer victoire dans la lutte contre l’inflation. Après une période d’observation supplémentaire pour valider le scénario, nous pensons que les deux banques centrales devraient amorcer un cycle de normalisation monétaire progressive à partir du milieu d’année 2024.

Sur le segment des obligations

Après une envolée des taux longs durant l’été 2023, les marchés obligataires se sont nettement repris, notamment grâce au changement de ton de la Fed. En théorie, l’environnement macroéconomique semble porteur pour une poursuite de la tendance favorable en 2024. Toutefois, dans leur enthousiasme retrouvé, les investisseurs escomptent désormais une baisse des taux monétaires plus rapide et plus agressive que ce qui nous paraît plausible. D’autres facteurs, comme le maintien de déficits budgétaires élevés et la contraction des bilans de banques centrales devraient freiner la baisse des taux longs dans les prochains mois. Toutefois, le retour d’un portage redevenu décent sur des actifs de grande qualité, qui pourraient aussi retrouver leur pouvoir décorrélant au sein de portefeuilles diversifiés, devrait constituer un attrait suffisant pour les investisseurs privés. Nous maintenons donc une attitude plus constructive sur la dette gouvernementale, en particulier sur légère correction. Nous attendons des returns positifs alimentés par le portage et un léger repli supplémentaire des taux longs (vers 3,50% pour le 10 ans US et 1,80% pour le Bund allemand). Nous apprécions toujours les marchés du crédit dans un scénario central d’atterrissage en douceur. La détérioration des fondamentaux des entreprises, notamment due à la hausse des coûts de financement, et le cycle de défauts devraient rester contenus. Cela dit, les spreads de crédit se sont notablement rétrécis ces derniers mois. En d’autres termes, les valorisations sont assez chères et ne laissent guère de marge d’erreur en cas de dégradation plus marquée de l’environnement économique. En termes de ratio risque/return, nous privilégions donc la dette de qualité Investment Grade pour de nouveaux investissements. Une attention soutenue restera de mise pour la sélection et la diversification des titres.

Sur le segment des devises

Le dollar US s’est notablement déprécié lors du dernier trimestre 2023, quand les anticipations sur le comportement de la Fed ont connu un revirement important. Nous pensons que l’atterrissage en douceur constitue le scénario le moins favorable pour le billet vert, en raison d’une forme de convergence des taux de croissance entre les principales économies mondiales. Il faut aussi noter que le dollar reste une devise relativement chère par rapport à ses fondamentaux de long terme. Nous tablons sur une modeste dépréciation supplémentaire vers un niveau de l’ordre de EUR/USD 1.15 en 2024. Un redressement encore plus marqué de l’euro nous semble improbable car il nécessiterait sans doute une période de croissance européenne forte. Et n’oublions pas que les autres banques centrales majeures (hors Japon) vont également abaisser leurs taux directeurs, limitant l’impact sur les différentiels d’intérêt. L’élection US de novembre pourrait devenir un facteur de risque important en cours d’année, mais il est clairement trop tôt pour tenter d’anticiper cet événement. Nous conservons une petite exposition au dollar US car cette devise demeure un outil intéressant de couverture des portefeuilles dans un environnement cyclique et géopolitique encore très incertain. Mais nous serions prêts à réduire davantage nos expositions si la visibilité progressait dans le courant de 2024.

Sur le segments des actions

Après un millésime 2023 plus que satisfaisant compte tenu du contexte (principaux indices en progression de 15 à 25%), que pouvons-nous oser espérer pour 2024 ? Le rallye boursier qui a débuté au début du mois de novembre, grâce au retour des anticipations d’assouplissement monétaire, a-t-il déjà consommé tout le carburant des marchés pour les prochains mois, alors que l’hiver qui s’installe devrait être synonyme de croissance molle pour l’économie mondiale ? Le changement de pied de la Réserve fédérale américaine en décembre dernier (passage d’un discours « taux d’intérêt élevés pour longtemps » aux premières réflexions sur le calendrier des prochaines baisses de taux) est-il déjà plus que reflété dans les cours de bourses ? Quels seront les moteurs sur lesquels les indices actions pourront encore s’appuyer ? Pouvons-nous tabler sur des surprises positives alors que le consensus des bureaux d’analystes financiers adopte un point de vue plus prudent ? Avec la proximité de grandes échéances électorales aux États-Unis et en Europe, les risques géopolitiques ne risquent-ils pas de redevenir prégnants dans l’esprit des investisseurs ? Les marchés obligataires sont-ils devenus des compétiteurs sérieux face aux actions ? Nous allons tenter de répondre à ces questions en apportant un éclairage plus optimiste que ce que nous lisons habituellement dans les rapports de la concurrence.

Valorisation : quelques considérations générales et nos objectifs de performance en 2024

A première vue, la valorisation des marchés d’actions n’est pas très engageante. Le principal indice de la bourse américaine, qui de par son poids dans la capitalisation boursière mondiale (plus de 60%) en est le principal facteur dynamique, est valorisé à 19 fois les résultats attendus sur les douze prochains mois, soit sa moyenne des cinq dernières années. Toutefois, cette valorisation plutôt généreuse est portée par un nombre limité d’actions, les désormais célèbres « Magnificent Seven » (Apple, Alphabet, Amazon.com, Meta, Microsoft, Nvidia et Tesla) dont les rapports cours sur bénéfices attendus s’étalent de 20 à plus de 50 ! Les grands leaders du secteur de la technologie portés par le déploiement rapide de l’Intelligence artificielle (IA) et sur lesquels reposent des attentes de forte croissance bénéficiaire (supérieure à 20% par an sur les deux prochains exercices comptables) masquent une réalité sans doute beaucoup plus confortable. Le reste de la cote américaine est en effet valorisé de façon plus raisonnable (autour de 15 fois les résultats attendus à douze mois), c’est-à-dire offre une prime de risque plus attrayante. Les actions européennes et asiatiques sont plutôt peu chères (13 fois les résultats attendus en 2024). Les investisseurs internationaux (et de plus en plus européens ces dernières années) se sont détournés des entreprises européennes, malgré l’internationalisation de plus en poussée de leurs activités , tandis que les pays émergents ont pâti du resserrement monétaire de la Réserve fédérale américaine et du déclassement de la Chine. Nous notons enfin que le segment des petites valeurs est plutôt historiquement décoté, voire très décoté en zone euro, après une phase de sous-performance calamiteuse face aux grandes capitalisations boursières.

En résumé, un investisseur actif qui accepte une allocation de son portefeuille en dehors des gros indices boursiers (stratégie passive liée à un benchmark) peut parfaitement trouver son bonheur si son objectif premier est d’acquérir des actions de sociétés de qualité peu chères, y compris dans les segments technologiques et plus généralement de croissance : il lui suffit de se pencher sur les actifs européens, asiatiques, et les petites valeurs. Doit-il se détourner des leaders américains de la technologie ? Nous ne le pensons pas, car les valorisations ne sont pas toujours déconnectées de la réalité et de la dynamique des profits. Néanmoins, nous insistons sur le danger que représente une surconcentration d’un portefeuille dans ces entreprises de plus en plus considérées comme des valeurs refuges et donc ultra-consensuelles depuis la crise sanitaire. Leur comportement boursier reste très dépendant de celui des taux d’intérêt à long terme (impact actuariel significatif sur leur valorisation théorique). Elles sont toutes dans le radar des régulateurs qui s’inquiètent à juste titre de leur domination technologique et de leur impact sur le bon fonctionnement de nos démocraties. Pour finir, elles sont exposées aux tensions sino-américaines. En conséquence, nous recommandons une bien meilleure diversification que celle offerte par les fonds indexés (ETF) plus vulnérables aux facteurs que nous venons de décrire succinctement.

Après une année 2023 portée principalement par une expansion des multiples de valorisation des indices et non par la progression des profits (en hausse d’à peine respectivement 1% et 4% aux États-Unis et en Europe), que pouvons-nous espérer en 2024 ? Nous devons bien évidemment émettre quelques hypothèses simples sur la trajectoire des profits. Pour commencer, il nous faut insister sur la bonne santé financière des entreprises cotées, et ce malgré la hausse des coûts de financement et le ralentissement économique mondial. Certes, aux États-Unis, les marges bénéficiaires sont revenues à leur niveau de la période pré-Covid (normalisation parallèlement avec la désinflation). Elles restent néanmoins élevées. De plus, la génération des cash-flows libres (après investissements) est plus que satisfaisante avec un rendement proche de 5% de la capitalisation boursière du marché. L’Europe reste quant à elle un marché de rendement par excellence avec 3,5% de rendement des dividendes auquel il faut ajouter 2 à 3% de rachats d’actions qui portent le retour total aux actionnaires à plus de 6%, en ligne avec le niveau de génération des cash-flows libres. Le souci principal reste le niveau du consensus des analystes qui semble un brin trop optimiste dans le cadre d’un scénario d’atterrissage en douceur de l’économie (soft landing) couplé à la poursuite de la désinflation (fin de la période de « greedflation »). Aux États-Unis, le consensus prévoit une croissance des bénéfices par action de 11,8% en 2024, pour une progression de la marge nette de 60 points de base (+0,6%) à 12,3% (source : FactSet). Attention au choc lié au ralentissement de la croissance nominale du PIB américain l’an prochain (croissance en volume + inflation) : elle passera d’environ 6,5% à environ 3,9%, selon le consensus ! C’est un facteur déterminant dans la trajectoire des marges des entreprises. Une telle décélération de la croissance nominale peut difficilement s’accompagner d’une progression des marges bénéficiaires. Bien évidemment, beaucoup dépendra aussi de la vitesse de la détente monétaire américaine et de son impact sur l’activité économique après l’été 2024 (impact sur le PIB réel en volume). Or, sur ce dernier point, les incertitudes resteront nombreuses dans la première partie de l’année. Autrement dit, nous n’avons qu’une très faible confiance dans le consensus bénéficiaire en 2024. Si, à fin décembre 2024, nous valorisons le marché américain à 19 fois les profits attendus en 2025 (multiple supposé inchangé par rapport à celui observé aujourd’hui), avec une séquence de progression des profits de 5% en 2024 suivi de +8% en 2025 (contre respectivement +11,8% et + 11% pour le consensus), nous aboutissons à une performance attendue du marché américain de l’ordre de 5% en 2024, dividendes inclus. Cela peut sembler plutôt maigre alors que les obligations d’entreprise de bonne qualité (notées investment grade) offrent un rendement actuariel moyen d’environ 5% en dollar. Mais nous jugeons notre scénario plutôt prudent (cf. ci-dessous). En outre, l’investisseur peut parfaitement améliorer le rendement attendu de son portefeuille en s’éloignant de l’indice de référence du marché (sélection d’actions individuelles ou stock picking). Attention toutefois à intégrer l’évolution du dollar contre la monnaie unique pour l’investisseur de la zone euro. La performance espérée des actifs américains pourrait être plus décevante exprimée en euro dans le scénario d’un affaiblissement de la monnaie américaine.

S’agissant de notre objectif de performance du marché européen, nous soulignons une nouvelle fois la caractéristique essentielle de cette zone : il s’agit avant tout d’un marché de rendement qui ne nécessite pas beaucoup de croissance des résultats pour satisfaire l’investisseur. Ainsi, il est raisonnable d’espérer 6 à 7% de performance l’an prochain, dont 3,5% en dividendes (bruts).

Croissance potentielle : le meilleur est à venir

Si nous avons sacrifié à l’exercice convenu des objectifs 2024, nous restons persuadés que la meilleure façon d’aborder la question des actifs à duration longue que sont les actions est le calcul du rendement attendu à long terme. Or, s’agissant des attentes de cash-flows plus lointains, les marchés pourraient parfaitement intégrer des hypothèses plus optimistes. En effet, la véritable bonne nouvelle de l’année 2023 fut le retour des gains de productivité aux États-Unis, qui a contribué à la désinflation. Les raisons précises de ce rebond après des années de ralentissement ne sont pas encore très claires - les économistes nous expliqueront le phénomène dans le détail dans quelques trimestres. S’agit-il des premiers effets de la hausse du cycle d’investissement dopé par le programme fédéral IRA (Inflation Reduction Act) ? ou bien des conséquences du déploiement rapide de l’IA générative dans le monde des entreprises ? ou plus simplement le résultat du fonctionnement du marché du travail encore impacté par la crise sanitaire ? Sans doute les raisons sont multiples. Il n’en est pas moins exact que l’effort d’investissement est bien réel, notamment dans les énergies renouvelables, les batteries et les semi-conducteurs, et est en hausse d’environ 50% par rapport à la moyenne des sept dernières années ! La croissance mondiale profitera inévitablement d’une reprise forte du cycle des investissements. Les besoins sont immenses dans la transition énergétique, les infrastructures, l’IA, la transition numérique et bien sûr le domaine militaire. Le choc lié au déploiement rapide de l’IA générative et des autres applications basées sur les technologies de réseaux neuronaux n’est pas à négliger. Nous ne citerons pas de chiffres dans cette note, mais nous insistons sur le choc de productivité que représente l’IA alors que de nombreux secteurs font face à des problèmes de recrutement (offre de travail contrainte par les évolutions démographiques). Nous ne sommes qu’au début de cette révolution technologique, bien plus importante que le déploiement d’internet à la fin des années 90 qui ne parvint pas à doper durablement la croissance potentielle de l’économie au début du XXIème siècle. Bien évidemment, les pays à la pointe de l’enseignement et de la recherche scientifiques et technologiques tireront le meilleur parti de l’IA. De ce point de vue, les responsables politiques européens, davantage occupés à réguler un secteur dans lequel le Vieux Continent reste un nain par rapport aux États-Unis et à la Chine, font preuve d’aveuglement, voire d’incompétence. Les cerveaux européens continuent de s’expatrier vers les États-Unis…

Le retour à des taux d’intérêt réels à long terme positifs (1,7% aux États-Unis, 0,7% en zone euro) doit être considéré comme un signal positif pour la croissance économique future. Il indique que l’hypothèse des marchés n’est pas celle de la stagnation séculaire mais bien celle d’une croissance potentielle positive en volume. Celle-ci alimentera la hausse des revenus et des cash-flows des entreprises de quelques pourcents par an (en moyenne). Souvenons-nous du rendement des cash-flows libres des actions mondiales : environ 5% (en ligne avec sa moyenne historique de long terme). Une croissance annuelle moyenne des excédents de trésorerie de quelques pourcents à long terme signifie que les marchés peuvent parfaitement offrir des performances moyennes de l’ordre de 7 à 10% par an selon les indices (dividendes bruts compris). Le retour des gains de productivité est en outre une excellente nouvelle pour la trajectoire des marges bénéficiaires (au minimum maintien autour des niveaux actuels).

Allocation géographique : vers la fin du dénigrement des actifs européens ?

Durant les quinze dernières années, l’allocation géographique des investisseurs internationaux a été bousculée par des crises à répétition. La plus dramatique pour l’Europe fut sans conteste celle des dettes souveraines de 2010-2012. Mais nous pouvons affirmer que même lorsqu’ils trouvaient leur origine en dehors de l’Europe (crise financière des subprimes en 2008), ces chocs ont accentué la défiance des investisseurs à l’égard d’un continent dont les institutions publiques sont souvent accusées d’être responsables de la sclérose progressive du secteur privé (avalanche de normes) et d’au moins une décennie perdue en termes de croissance économique par rapport au reste du monde malgré les promesses de la monnaie unique. Encore aujourd’hui, les dépenses de consommation en Europe ont à peine recouvré leur niveau pré-Covid alors qu’elles se situent déjà 10% au-dessus aux États-Unis. Quant au choc d’offre promis par les autorités européennes avec les multiples plans annoncés durant la crise sanitaire, nous devons bien avouer que les premiers résultats sont décevants par rapport aux réalisations concrètes des programmes fédéraux américains, notamment le dernier (Inflation Reduction Act). Les compétences de la population active restent insuffisantes dans un monde techno-scientifique (un problème dont souffrent moins les États-Unis qui continuent d’attirer les meilleurs étudiants et chercheurs étrangers par les moyens financiers et les conditions de travail offerts). La recherche et développement en pourcentage du PIB reste en retrait par rapport à l’Asie et aux États-Unis. En bref, les États européens et l’UE, qui se déclarent pourtant stratèges, mènent des politiques au mieux inefficaces (multiplicité des freins à la croissance), ce qui n’est pas nouveau, ou pire contreproductives (destruction de valeur dans de nombreux secteurs d’activité tels le nucléaire, le raffinage et la chimie des métaux indispensables à la transition énergétique, ou encore le segment premium du secteur automobile allemand menacé par les nouveaux entrants chinois). Dans un monde hyperconcurrentiel, cette impéritie observée au plus haut niveau contribue au déclassement de l’Europe. Les investisseurs sont bien conscients de cette situation plus qu’alarmante et ont donc tendance à considérer que les actifs européens doivent être systématiquement sous-pondérés, surtout au bénéfice des actifs américains.

Cette confusion entre le siège social des entreprises et leurs zones géographiques d’activité passe pourtant complètement à côté de deux phénomènes essentiels observés depuis vingt ans. D’une part la capacité des entreprises à s’adapter est largement sous-estimée. Elle fut pourtant éclatante durant la crise sanitaire et le choc énergétique. D’autre part, les entreprises européennes ont depuis longtemps intégré dans leur stratégie d’allocation d’actifs la nécessité d’aller chercher la croissance là où elle est : en dehors de la zone euro (38% de croissance cumulée du PIB en moins par rapport aux États-Unis depuis 1990, source : Natixis) ! Tant pis pour les investissements et l’emploi européens ! L’UE reste d’ailleurs aveugle à une tendance devenue inéluctable : près de 45% des investissements des entreprises dont le siège est en Europe sont déployés dans le reste du monde ! C’est d’ailleurs unique à l’échelle de la planète. La réindustrialisation tant vantée par les pouvoirs publics, notamment dans le renouvelable et les semi-conducteurs, reste pour le moment un vœu pieu : alors que des centaines de milliards d’euros d’argent public sont déversés pour tenter de reconstituer des capacités de production dans des secteurs stratégiques, de nombreuses entreprises continuent de réduire la voilure en Europe et se développent sur les continents asiatique (hors Chine) et américain. Ainsi, la part de l’UE dans les investissements mondiaux est en réalité en très faible augmentation (6,7% aujourd’hui contre une moyenne de 6,5% sur 2016-2023, source : Trendeo).

Mais le point le plus pertinent dans notre raisonnement est que les multinationales européennes n’ont rien à envier à leurs concurrents américains. Les investisseurs internationaux finiront bien par le reconnaître. Les exemples abondent de groupes dont la dynamique des profits et le niveau des marges soutiennent parfaitement la comparaison, par exemple dans les secteurs du luxe (LVMH, Hermès), des biens de consommation (L’Oréal), des semiconducteurs (ASML, Infineon), des services informatiques (Capgemini), dans le secteur automobile (Stellantis dont la sous-valorisation par rapport aux concurrents américains ne s’explique pas, alors que plus de 60% de ses résultats opérationnels sont générés en Amérique du Nord et seulement un quart en Europe), dans la chimie (Syensqo, Air Liquide), les sciences de la vie (Novo Nordisk, Novartis, AstraZeneca), les biens d’équipement (Schneider Electric dont l’Europe de l’Ouest ne pèse que 20% de ses revenus), les services aux collectivités (RWE dont 30% des actifs sont basés aux États-Unis), les services énergétiques (Technip Energies, leader mondial dans le GNL) ou encore dans le secteur pétrolier et gazier (Shell, Total Energies dont la maîtrise des projets complexes est plus que sous-estimée, notamment dans les énergies renouvelables). Nous pourrions multiplier les exemples de sociétés européennes dont les fondamentaux sont de qualité semblable, voire dans certains cas meilleurs, et dont la valorisation de marché est souvent inférieure aux standards américains. Les sociétés citées plus haut ne l’ont pas été au hasard : leur performance boursière durant l’année écoulée fut en général excellente. En ce qui concerne les secteurs plus domestiques, nous mettons en évidence le secteur bancaire européen (dont la performance 2023 dividendes inclus dépasse 25% !), dont nous soulignons la solidité financière après le renforcement significatif de la régulation, des normes et des ratios de solvabilité et de liquidité - dans ce secteur, les investisseurs peuvent se féliciter du travail des régulateurs européens. La crise des banques régionales américaines du printemps dernier a d’ailleurs mis en évidence les forces comparatives des établissements du Vieux Continent. Acheter les indices boursiers européens peu chers, ce n’est pas s’exposer aux problèmes de gouvernance de l’UE et de la zone euro, c’est avant tout investir dans la croissance mondiale et les qualités intrinsèques de nos leaders.

Alors que la plupart de nos concurrents restent prudents sur le marché européen, nous insistons sur sa performance depuis le 27 octobre (point bas des indices boursiers au pic des taux d’intérêt réels) : la zone euro enregistre une performance d’environ 13%, légèrement supérieure à celle du marché américain, grâce à la baisse du dollar. Les performances sont proches en monnaie locale. Autrement dit, la forte décrue des taux d’intérêt réels américains profite aussi aux actifs européens, et même davantage avec la hausse de l’euro face au dollar.

Nous terminons par quelques commentaires sur le reste du monde. Nombreux sont en effet ceux qui mettent en avant la bourse japonaise et les actifs émergents. Notre prudence à l’égard des actifs chinois (un tiers des indices émergents mondiaux), malgré l’attrait de la prime de risque, s’est avérée totalement justifiée en 2023 (baisse des principaux indices de 10 à 15% en dollar). Les problèmes de gouvernance de la Chine doivent être réglés avant d’espérer une inversion durable des flux d’investissement étrangers. Nous avons le plus grand mal à croire à un changement de politique sous la présidence de Xi Jiping. Le reste des marchés émergents offre aussi de la valeur car ils furent pénalisés à la fois par la Chine et le resserrement monétaire américain. La baisse des taux en dollar leur apportera une bouffée d’oxygène bienvenue. Pour terminer notre bref tour des places financières, le comportement de la bourse japonaise (appréciée pour son exposition à la zone Asie-Pacifique) nous semble trop dépendant de la politique monétaire de la Banque du Japon. Une éventuelle sortie de sa stratégie de contrôle de la courbe des taux - justifiée par la fin de la longue spirale déflationniste - aurait inévitablement des conséquences dramatiques sur le yen (forte remontée face aux devises étrangères probable) et la compétitivité des sociétés exportatrices. Nous insistons d’ailleurs sur le fait que la performance de la bourse japonaise exprimée en euro n’est finalement que de 15% en 2023 (baisse du yen face à l’euro de 11%), inférieure aux indices américains et européens. Nous en revenons donc à nos propos sur les actions du Vieux Continent qui offrent des avantages comparatifs plus évidents (valorisation, cotation en euro, exposition à la croissance mondiale).

Styles de gestion : le retour des taux d’intérêt réels positifs et la pentification des courbes de taux imposent l’équilibre dans l’allocation des portefeuilles

La question qui se pose à présent porte sur le style de gestion. Depuis la normalisation des taux réels et le retour de l’inflation, nous expliquons qu’il est judicieux de veiller au bon équilibre entre secteurs de croissance et actions réputées « value » (titres dont la valorisation de marché reflète de faibles attentes de progression des cash-flows futurs), dont l’intérêt repose surtout sur le rendement des dividendes. Nous ne changeons pas d’avis. La période de surperformance exceptionnelle des actifs de croissance entre 2009 et 2021 est sans doute dernière nous. Seul un retour aux taux d’intérêt réels négatifs pourrait nous amener à modifier notre point de vue ; nous jugeons un tel scénario peu probable dans un avenir prévisible. Nous conseillons dès-lors une bonne diversification sectorielle entre valeurs de croissance de qualité dans un contexte de ralentissement économique et secteurs value tels que l’énergie, les financières et les industrielles reconnues pour leur capacité à générer des cash-flows libres abondants au travers du cycle et dont les valorisations de marché sont encore attrayantes.

Conclusion marchés d’actions

Rassurés pas la bonne résistance de l’économie mondiale en 2023, les marchés intègrent à présent un scénario d’atterrissage en douceur de l’activité (soft landing) et un fort assouplissement monétaire de la part des principales banques centrales, porté par le processus de désinflation. Les enjeux géopolitiques semblent, comme d’habitude, largement sous-estimés à ce stade - ils redeviendront sans doute prégnants à l’approche de l’élection présidentielle américaine. Les indices boursiers semblent refléter correctement un scénario qui leur est favorable (baisse significative des taux d’intérêt qu’accompagne un ralentissement modéré de l’économie mondiale au 1er semestre). Néanmoins, le nouveau millésime boursier ne sera sans doute pas un long fleuve tranquille, ce qui milite pour une bonne diversification géographique et sectorielle des portefeuilles. Ceci ne signifie pas que les actions n'offrent plus de potentiel : les marges bénéficiaires et le rendement des cash-flows libres soutiennent des politiques de retour aux actionnaires généreuses ; les gains de productivité (surtout aux États-Unis) et le cycle d’investissement porté par la transition énergétique et l’IA générative raniment la croissance potentielle de l’économie et donc la trajectoire des profits futurs des entreprises.

Conclusion

Comme 2023, le nouveau millésime sera synonyme de défis et d’opportunités pour les investisseurs patients. En espérant que nos analyses vous permettent de naviguer dans un océan d’incertitudes, nous profitons de cette note pour vous souhaiter nos meilleurs vœux pour 2024.


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