Les taux d’intérêt à long terme ont continué de se tendre ces dernières semaines, malgré les indices d’inflation plutôt satisfaisants de part et d’autre de l’Atlantique. La publication des nouvelles prévisions économiques de la Réserve fédérale américaine (Fed) témoigne de l’optimisme des membres du Federal Open Market Committee qui éloignent un peu plus les perspectives d’assouplissement monétaire en 2024. La Banque centrale européenne (BCE) a relevé ses principaux taux directeurs (taux de facilité de dépôt à 4%) alors que les signes d’un ralentissement des marchés du crédit se multiplient. En toute logique, les indices boursiers sont freinés par la hausse des taux longs.
Il s’agit bien évidemment du fait de marché le plus prégnant du trimestre écoulé. Sur les trois derniers mois, le taux des obligations souveraines à 10 ans en dollar (Treasuries) a progressé de près de 0,9% (90 points de base) pour atteindre 4,70%, son niveau le plus élevé depuis 2007. Les taux d’intérêt réels à long terme (taux nominaux desquels on soustrait l’inflation anticipée sur longue période) atteignent des records depuis 2008 (crise financière des subprimes) et dépassent à présent nettement la barre des 2% (2,30% au dernier relevé pour le taux réel à 10 ans). Les taux d’intérêt à long terme se sont également tendus en Europe, bien que dans des proportions moindres. Le taux de rendement du Bund à 10 ans (emprunt souverain allemand) atteint environ 2,90%, soit une hausse d’environ 50 points de base sur le troisième trimestre.
La poursuite de la correction obligataire (variation des prix des obligations dans le sens inverse des taux d’intérêt) n’était pourtant pas le scénario le plus consensuel partagé par les investisseurs dans le contexte de désinflation. Il semble bien que les marchés aient enfin acté la volonté inébranlable des banques centrales de lutter contre l’inflation, qui éloigne la perspective d’un assouplissement généralisé et de grande ampleur des conditions monétaires dès 2024. C’est d’ailleurs le message clé délivré par la Fed dans ses dernières projections économiques : les prévisions médianes de ses dirigeants n’annoncent plus qu’une légère détente monétaire l’an prochain. Après la pause décidée par la Fed, les discours récents de ses responsables reflètent toujours un biais haussier qui n’exclut pas une dernière hausse des taux directeurs dans les prochains mois. Les marchés obligataires ont finalement intégré cette nouvelle donne. Dans la zone euro, certains s’inquiètent déjà d’une politique monétaire trop restrictive alors que la croissance du crédit aux entreprises est au plus bas depuis huit ans. L’Allemagne connait une rechute assez nette de l’activité économique aggravée par le ralentissement de la demande chinoise et la faiblesse de la consommation des ménages. De manière générale, les secteurs très dépendants des taux d’intérêt (construction, immobilier) s’enfoncent un peu plus dans la crise. La BCE semble toutefois tentée d’adopter une pause, à l’instar de la Fed, afin de se donner le temps d’étudier les effets inévitables du durcissement des conditions financières sur l’activité économique. La stabilité des anticipations d’inflation à long terme (taux swap en euro 5 ans dans 5 ans actuellement autour de 2,50%) et l’absence de boucle prix/salaires seront néanmoins les facteurs déterminants à suivre dans les prochains mois. En tout cas, le ralentissement de l’économie mondiale (atonie des marchés du crédit, médiocrité de la consommation privée en dehors des États-Unis, modération progressive des marchés de l’emploi) et la poursuite de la désinflation en dépit de la hausse récente des prix du pétrole laissent espérer la fin prochaine du cycle de resserrement monétaire.
Nous pouvons toutefois nous étonner du ton résolument optimiste de la banque centrale américaine exprimé dans ses dernières projections économiques qui pointent vers un scénario de stabilisation de l’économie suivie par une reprise vers sa croissance potentielle autour de 1,7% à 2% en volume par an dès 2025 (croissance réelle du PIB). Dans notre dernière note mensuelle, nous avions insisté sur le fait que la Fed avait abandonné au début du printemps l’idée même d’une récession (hard landing) pour adopter le scénario d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine (soft landing). En dépit de la stabilisation du secteur manufacturier, la multiplicité des risques qui pèsent sur l’activité est pourtant bien réelle. Nous soulignons le durcissement des marchés du crédit, le ralentissement probable de la consommation, après des dépenses soutenues par une baisse du taux d’épargne qui ne semble pas soutenable, la reprise en octobre du service de la dette étudiante, l’ajustement plus marqué du marché de l’emploi, la baisse du taux de marge bénéficiaire des entreprises et le risque de « shutdown » (toujours d’actualité malgré l’accord bipartisan du 30 septembre dernier pour éviter la fermeture des services publics pour une durée de quarante-cinq jours). La Réserve fédérale est persuadée que l’économie américaine, qui a jusqu’à présent très bien résisté au choc monétaire des dix-huit derniers mois (hausse des taux directeurs de 525 points de base, du jamais vu depuis quarante ans), est parfaitement apte à absorber le durcissement des conditions financières sans ressentir de ralentissement significatif dans les prochains trimestres. La Fed a ainsi relevé sa prévision de croissance réelle du PIB en 2023 à 2,1% (contre +1% prévu en juin dernier). Le taux de croissance de l’an prochain (basé sur la médiane des estimations des membres de la Fed) est attendu à +1,5% contre +1,1% estimé en juin, en dépit du choc sur les taux réels. Ces prévisions revues en hausse s’accompagnent logiquement de projections à la baisse pour le taux de chômage. Comment la Fed, dans ces conditions, peut-elle maintenir inchangées ses prévisions d’inflation ? L’indice PCE - Personal Consumption Expenditures Price Index - est attendu à +2,5% l’an prochain, inchangé par rapport à la projection de juin, contre +3,3% en 2023, soit à peine 10 points de base supplémentaires par rapport à la précédente estimation. Les investisseurs doivent-ils dès-lors s’attendre à une politique monétaire plus restrictive et à des taux réels plus élevés plus longtemps ? C’est en tout cas le message délivré par les marchés obligataires ces dernières semaines. Un reflux des taux réels à leurs faibles niveaux d’avant la pandémie est improbable compte tenu des changements structurels déjà à l’œuvre (énormes besoins en investissements dans la lutte contre le réchauffement climatique et la défense, déséquilibres mondiaux croissants entre l’épargne et l’investissement, nécessité absolue de garantir la crédibilité des banques centrales après des années d’errement et de déni). Le processus de désinflation ne pourra admettre simultanément une économie en bonne forme et des conditions financières à nouveau relâchées. Le risque serait bien trop grand de perdre à nouveau le contrôle de l’inflation. C’est un peu la victoire à la Pyrrhus des monétaristes honnis des États dispendieux et des tenants de la Théorie Monétaire Moderne qui a accompagné l’explosion des dettes publiques et le financement des déficits par la création monétaire. Nous ne croyons donc pas à un retour rapide au « monde d’avant ».
Que signifie au juste « des taux d’intérêt réels normaux » ? Nous nous inspirons ici de la théorie économique tout en simplifiant volontairement la question. Si nous nous basons sur les projections à long terme de la Réserve fédérale et les anticipations d’inflation du marché (autour de 2,5% par an), un taux d’intérêt nominal d’équilibre à long terme devrait se situer autour de 4,3%, un niveau auquel il faudrait ajouter la prime de terme (supplément de rendement exigé par les détenteurs d’obligations de longue maturité pour compenser la volatilité des taux d’intérêt). Celle-ci avait entièrement disparu durant la période d’assouplissement quantitatif de la Fed. Compte tenu du retour de l’inflation et des énormes besoins de financement de l’Administration fédérale dans un contexte de réduction de la taille du bilan de la banque centrale, il ne serait pas illogique que cette prime de terme soit reconstituée. Autrement dit, le niveau actuel de 4,7% pour le taux des obligations du Trésor à 10 ans n’est pas absurde si nous acceptons le taux de croissance de l’économie américaine estimé par la Fed à long terme, son potentiel de croissance en volume (PIB réel) basé sur les gains de productivité et les tendances démographiques de la population en âge de travailler, à savoir 1,8% par an. Nous sommes donc tentés d’affirmer que les niveau actuels des taux longs sont plutôt conformes à des hypothèses raisonnables - la Fed ne semble pas intégrer les effets liés au déploiement de l’IA dans les prochaines années - sans exclure des périodes plus volatiles où les taux longs pourraient approcher le niveau de 5%.
La situation en zone euro est différente car la croissance potentielle de son économie est freinée par la faiblesse des gains de productivité (environ +0,5% par an), ce qui milite pour des taux d’intérêt réels inférieurs à 1%. Les taux d’intérêt à long terme devraient ainsi rester inférieurs aux niveaux américains. L’Europe doit absolument intensifier ses efforts en termes d’éducation et d’innovation, et accélérer l’adoption des nouvelles technologies par les acteurs économiques, notamment dans l’IA. La faiblesse de l’économie du Vieux Continent, due notamment à l’atonie cyclique du commerce mondial, est également structurelle et nécessite une remise en question des politiques publiques jusqu’au niveau de la Commission européenne si l’UE ne veut pas rester simple consommatrice de produits et services technologiques américains et asiatiques.
Nous terminons par quelques mots sur les marchés d’actions qui sont logiquement pénalisés par la hausse des rendements obligataires, plus particulièrement les valeurs de croissance plus chèrement valorisées. En dehors de la belle performance depuis le début de l’année des leaders technologiques américains tirés par l’engouement pour l’IA générative, nous constatons que les performances entre les secteurs réputés « value » (faible valorisation qui reflète la croissance modérée des cash flows futurs) et les secteurs de croissance sont proches depuis le début des hausses de taux d’intérêt initiées par la Fed il y a dix-huit mois. Ce retour à la normalité en ce qui concerne les taux réels a donc des implications fortes en termes d’allocation d’actifs et milite pour davantage d’équilibre dans les portefeuilles entre les différents styles de gestion.
Alors que la hausse des taux de rendement obligataire offre de réelles opportunités pour les investisseurs (allongement des maturités moyennes d’investissement pour profiter de taux réels positifs), la question est de savoir quand les investisseurs pourront à nouveau renforcer la poche actions de leurs portefeuilles. Compte tenu de la cherté du marché américain qui intègre le scénario d’atterrissage en douceur de l’économie (prime de risque peu attractive : écart négatif entre le rendement moyen des free-cash-flows du marché et le taux du bon du Trésor à dix ans), deux conditions nécessaires doivent être remplies. La première est la stabilisation des taux d’intérêt à long terme favorisée par la désinflation et la fin du processus de resserrement monétaire. La seconde condition est la stabilisation des indicateurs avancés de conjoncture qui permettra d’atteindre le point bas des marges des entreprises et la fin de l’ajustement des consensus bénéficiaires (surtout s’agissant de 2024). Dans un second temps, l’initiation d’une phase d’assouplissement monétaire (baisse des taux directeurs des banques centrales), dont le timing dépendra évidemment de l’inflation (écart par rapport à l’objectif de 2% par an), et le renforcement de la croissance potentielle grâce aux innovations technologiques (IA) stimuleront la dynamique boursière. Nous en sommes encore loin. Sachons faire preuve de patience.
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