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Remise en cause du scénario de base? Dominique Marchese, 2024-09-02

Mots-clés: inflations, banques centrales, FED, Japon, taux, élection, USA.

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Alors qu’au début de l’été, de nombreux investisseurs s’inquiétaient à juste titre du niveau généreux des valorisations des marchés actions, surtout du côté des États-Unis, la volatilité a finalement fait son grand retour, profitant de brusques rotations sectorielles dans les portefeuilles des gérants d’actifs, du bref moment de panique lié à la politique monétaire de la Banque du Japon (brutale correction de la bourse de Tokyo accompagnée d’une forte appréciation du yen), et de doutes sur la capacité de l’économie américaine à éviter le scénario de récession. Les inquiétudes de l’été se sont finalement avérées très exagérées. Les marchés ont retrouvé des couleurs dans la seconde quinzaine du mois d’août, portés par la détente des taux d’intérêt obligataires et l’annonce de Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale (Fed), d’un très probable assouplissement monétaire dès le mois de septembre.

UN PEU D’ANIMATION DANS DE PLUS FAIBLES VOLUMES

Dans notre précédente lettre mensuelle, nous craignions un été « chaud », et avions exprimé dans le détail notre circonspection face à des marchés actions que nous jugions un peu trop complaisants, en particulier au beau milieu de risques politiques multiples. La saison estivale a bien été conforme à sa réputation, propice à des pics de volatilité dans des volumes de transactions plus limités, mais les sujets prégnants furent d’abord économiques et financiers. C’est tout d’abord, vers la mi-juillet, la rotation très violente en faveur des petites capitalisations boursières américaines, au détriment des grandes valeurs technologiques (-15% du pic de l’année au creux pour le principal indice technologique américain), qui alimenta la volatilité des marchés. On soulignera ici l’influence déterminante du marché des fonds d’investissements indiciels (ETF), et sans aucun doute la courte vue de nombreux investisseurs. Du côté des valeurs technologiques, les marchés se sont alarmés d’une petite musique qui, à l’occasion de la publication des résultats du 2ème trimestre, devint assourdissante : les investissements nécessaires au déploiement de l’intelligence artificielle (IA) générative sont substantiels, mettant en lumière l’intensité capitalistique de la transition numérique longtemps sous-estimée par les investisseurs, alors que les revenus liés à l’IA tarderaient à se matérialiser, en dehors du secteur des semi-conducteurs et des infrastructures cloud. La brusque rotation en faveur des petites entreprises cotées était davantage basée sur l’idée d’un nécessaire rééquilibrage des portefeuilles au détriment des « Sept Magnifiques » (Alphabet, Amazon.com, Apple, Microsoft, Meta, Nvidia, Tesla) dont le poids dans les indices pondérés par les capitalisations boursières est devenu préoccupant. Pourtant, les fondamentaux ne le justifiaient pas nécessairement : les analystes de Kepler Cheuvreux ont récemment rappelé opportunément que 41% des sociétés de l’indice Russel 2000 des petites capitalisations génèrent des pertes, et qu’une forte proportion souffre de fondamentaux de crédit plutôt médiocres. Ceci explique pourquoi, après une brutale hausse de plus 13% dans la deuxième quinzaine de juillet, l’indice Russel 2000 abandonna rapidement la totalité de ses gains dès que la crainte d’une récession américaine refit surface au début du mois d’août. Ces changements de régime brutaux des indices boursiers témoignent de la grande fébrilité des marchés. En ce qui concerne les craintes sur le retour sur investissements dans l’IA, nous reconnaissons que les incertitudes sont grandes. Cependant, ces investissements considérables, formidables barrières à l’entrée pour les leaders de la technologie, notamment les hyperscalers (Alphabet, Amazon.com, Microsoft, Oracle…), profitent à l’ensemble de la chaîne de valeur - y compris au secteur énergétique - dans le cadre d’une révolution technologique qui va se déployer sur de nombreuses années. Juger de ces tendances de long terme à l’aune d’un trimestre de résultats n’a évidemment aucun sens. Si les solutions actuelles d’IA générative sont actuellement peu différenciantes, à plus long terme, les applications plus spécialisées et à plus haute valeur ajoutée vont multiplier les cas d’usage (e.g. l’intégration de l’IA générative dans la robotique). Selon le CEO d’Anthropic, Dario Amodei, le coût d’entraînement des derniers grands modèles de langage dans l’IA générative (estimation de plusieurs milliards de paramètres), qui porte sur l’utilisation des puissances de calculs de data centers et d’immenses bases de données, est proche d’un milliard de dollars, et pourrait atteindre 5 ou 10 milliards de dollars en 2026. Les modèles actuellement disponibles ont coûté « à peine » 100 millions de dollars. Qui, en dehors d’une poignée de leaders de la technologie, intégrés verticalement dans la chaîne de valeur de l’IA (depuis les puces et les infrastructures cloud jusqu’aux logiciels applicatifs), est capable d’investir de tels montants ? Les nouveaux modèles, toujours plus gourmands en puissance de calcul, sont-ils devenus hors de portée pour d’éventuels nouveaux entrants et les éditeurs de logiciels qui ne possèdent pas leur propre infrastructure cloud ? La question de la maîtrise des bases de données est également prégnante. Du côté des clients, de tels coûts ne risquent-ils pas d’entraver l’adoption de masse de l’IA générative ? Autant de questions passionnantes qui touchent entre autres à la question de la captation de la valeur ajoutée, et qui sans nul doute alimenteront les débats dans les sociétés de gestion d’actifs dans les prochaines années.

Le deuxième évènement qui alimenta la correction est l’invraisemblable emballement des marchés financiers face à des chiffres pris hors contexte, à savoir les statistiques de l’emploi américain publiées le 2 août. Les créations d’emploi inférieures aux attentes du consensus et le taux de chômage en légère progression au mois de juillet, à partir d’un point bas (4,3% contre un consensus à 4,1%), provoquèrent un véritable vent de panique. Le scénario de soft landing (atterrissage en douceur de l’économie, scénario de base du consensus) semblait sérieusement remis en question, et faisait place à celui de récession, sans transition aucune. Ces chiffres furent toutefois rapidement tempérés par des dépenses de consommation rassurantes. Si les secteurs manufacturiers sont plutôt faibles, les services restent bien orientés, et les fondamentaux de l’économie américaine demeurent dans l’ensemble assez solides, avec un taux de marge des entreprises qui reste élevé. De plus, les conditions financières s’améliorent, car l’inflation continue de reculer (cf. paragraphe suivant sur la Fed et l’inflation). L’hypothèse du soft landing demeure selon nous toujours d’actualité ; la probabilité d’une récession dans les douze prochains mois reste faible (20% selon les économistes de Goldman Sachs, contre 25% avant la publication des ventes au détail).

Pour finir, le lundi 5 août, ce fut au tour du Japon d’animer les marchés financiers. Pouvons-nous parler de la fin d’une imposture ? Nous voulons évoquer ici le carry trade qui consiste à emprunter en yen à taux d’intérêt bas pour investir dans la bourse de Tokyo ou sur des devises à taux plus élevés, voire sur les indices technologiques américains. Cette stratégie d’investissement, popularisée au printemps 2023 par le célèbre fonds Berkshire Hathaway de Warren Buffett (annonce d’une augmentation de ses investissements dans une poignée d’exportateurs nippons), extrêmement spéculative puisqu’elle s’appuie sur la conviction que la Banque du Japon maintiendra une politique monétaire très accommodante, a certainement contribué à alimenter en liquidités les marchés financiers depuis de nombreuses années. De quels montants parlons-nous ? Il est pratiquement impossible de le savoir, car les emprunts en yen sont très majoritairement portés par le marché des swaps de devises : 14 200 milliards de dollars concernent des swaps sur le yen, mais ce montant amalgame les opérations de couverture et les opérations plus spéculatives (carry trade). S’agissant de celles-ci, les estimations vont de 500 milliards de dollars selon la banque UBS, dont la moitié aurait déjà fait l’objet d’un débouclage, à 4 000 milliards de dollars selon JPMorgan Chase (source : The Economist, 17 août 2024). Dans le passé récent, nous avons considéré avec circonspection la bourse japonaise (idée consensuelle dans la communauté financière), dont 60% du principal indice sont des exportateurs dont les marges et les profits dépendent du comportement du yen. Il a suffi que la Banque du Japon annonce le resserrement de sa politique monétaire - décision pourtant logique compte tenue de la trajectoire d’inflation - pour faire chuter la bourse de Tokyo de 20% en trois séances, parallèlement à une brutale appréciation de la devise nippone ! Les autorités japonaises ont rapidement réagi en indiquant subordonner toute décision de politique monétaire à la situation des marchés financiers, ce qui a permis de rapidement calmer la situation. Gardons néanmoins à l’esprit que si la Banque du Japon est plutôt sur une trajectoire de resserrement monétaire, les principaux argentiers du reste du monde ont déjà adopté ou sont sur le point d’adopter (Fed) des politiques d’assouplissement.

INFLATION ET BANQUES CENTRALES: LA FED ANNONCE SON PIVOT

A l’occasion du très attendu symposium des banquiers centraux tenu à Jackson Hole du 22 au 24 août, Jerome Powell, président de la banque centrale américaine, a annoncé qu’il était temps d’ajuster la politique monétaire, ouvrant la voie à une première baisse des taux directeurs de la Fed le 18 septembre prochain. Bien évidemment, il a réitéré le lien étroit entre le rythme de l’assouplissement monétaire et les prochaines statistiques économiques. Son discours a toutefois alimenté la détente obligataire (taux nominal de l’emprunt du Trésor de maturité 10 ans à 3,80%, son plus bas niveau de l’année, contre un plus haut à 4,70% au printemps dernier), et conforté la reprise des indices actions après la correction du milieu de l’été. Les bonnes nouvelles sur le front de l’inflation sont en effet un puissant argument en faveur d’une détente des conditions financières. Les dernières statistiques confirment la trajectoire de désinflation en direction de l’objectif de 2% de la Réserve fédérale. La modération salariale conforte ce scénario (vers une progression des salaires de +3,5% en 2024 selon Les Cahiers Verts de l’Économie). Surtout, l’économie américaine continue d’enregistrer de confortables gains de productivité, compatibles avec une croissance modeste des coûts unitaires de production. Nous avons déjà insisté à de nombreuses reprises sur ce point capital : les gains de productivité (+2,3% au 2ème trimestre) contribuent à contenir les coûts unitaires de production (+0,9%) et à soutenir les marges élevées des entreprises américaines. On notera la forte modération des prix manufacturés, qui est un phénomène mondial auquel la Chine n’est certes pas étrangère : sa demande domestique médiocre, alors que ses capacités de production sont largement excédentaires dans de nombreux secteurs - le plus emblématique étant celui des automobiles électriques -, alimente une course aux gains de parts de marché à l’exportation, qui accentue la pression déflationniste dans le reste du monde. Les marchés saluent ainsi la contraction des anticipations d’inflation reflétées dans les contrats swaps et les obligations liées à l’inflation : le contrat swap d’inflation en dollar 5 ans dans 5 ans est à son plus bas niveau depuis décembre 2022 (2,45% contre une fourchette de fluctuation entre 2,50% et 2,80% depuis le début de l’année). Signalons que ce phénomène s’observe aussi en zone euro, une bonne nouvelle pour la Banque centrale européenne (BCE) qui reste toutefois vigilante (cf. le discours de son économiste en chef, Philip Lane, à Jackson Hole). Le 18 septembre prochain, la Réserve fédérale devrait ainsi rejoindre la liste des banques centrales qui ont déjà décidé d’assouplir leur politique monétaire en 2024 (BCE le 6 juin dernier, Banque d’Angleterre, Banque du Canada, Banque de Suède, Banque nationale suisse…).

ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE AMERICAINE : LE SUSPENSE EST  EST Á SON COMBLE

Quelques mots sur l’élection présidentielle américaine qui offre un suspense remarquable. Alors que l’attentat contre Donald Trump du 13 juillet, qui avait suivi un débat calamiteux pour Joe Biden, avait propulsé le candidat républicain dans les sondages, le retrait du candidat démocrate le 21 juillet dernier au profit de son actuelle vice-présidente Kamala Harris a rebattu les cartes (sondages plus partagés dans les sept États-clés où l’avance de Donald Trump s’est fortement contractée). Les élections du 5 novembre qui concernent également le Congrès s’approchent à grands pas. Il semble que la « Kamalamania » se soit emparée des médias, et que les chances d’une victoire de Trump s’éloignent. Toutefois, nous devons insister sur le manque de clarté du programme proposé par Kamala Harris, qui a surtout mis l’accent sur le virage à gauche qu’elle compte insuffler à la politique fédérale économique et sociale, ce qui n’est en rien anodin pour les actions américaines. En guise d’exemples, ses propositions de hausse de la fiscalité sur les entreprises (taux d’impôt à 28% contre 21% actuellement, et 35% avant la baisse décidée par Trump en 2017) et les ménages aisés, afin d’assurer le financement de 1 700 à 2 000 milliards de dollars de promesses sociales en faveur des classes populaires et moyennes sur une période de dix ans (estimations du Committee for a Responsible Federal Budget) ne seront pas de nature à rassurer Wall Street. La question est de savoir si ce fatras d’annonces est avant tout politique, dans le but d’arrimer la gauche du parti démocrate à la candidate alors que Kamala Harris semble en même temps vouloir se démarquer des groupes réputés woke (ils n’ont pas eu voix au chapitre durant la convention de Chicago), et, dans le cas contraire, si les démocrates auront la majorité au Congrès pour déployer ce programme. Ces questions sont cruciales : le taux moyen d’imposition des « Sept Magnifiques » est de 14% depuis 2017 ; le taux médian d’imposition du principal indice de la bourse américaine est de 20% sur les cinq dernières années (source : Berenberg). Selon les Cahiers Verts de l’Économie, l’impact de la hausse de la pression fiscale envisagée dans le programme démocrate, qui ne serait pas entièrement compensée par la politique keynésienne de soutien à la demande, se traduirait par une contraction moyenne de 10% des profits nets des entreprises, et toucherait particulièrement le secteur de la technologie. En dépit des extravagances de son candidat, une victoire du camp républicain à la Maison Blanche et au Congrès semble a priori plus prometteur pour Wall Street.

CONCLUSION

L’été a-t-il modifié fondamentalement le scénario central ? Nous ne le pensons pas : la croissance mondiale reste arrimée à environ 3% l’an. L’hypothèse d’un soft landing n’est pas remise en cause aux États-Unis. La demande intérieure chinoise reste médiocre, ce qui alimente les pressions déflationnistes dans les secteurs manufacturiers. Dans la zone euro, l’activité reste atone dans l’industrie et s’affaiblit dans les services, alors que les ménages sont peu enclins à consommer davantage (croissance annualisée du PIB à +1,2% au 1er semestre). Le processus de désinflation mondiale se poursuit, ce qui permet aux banquiers centraux d’assouplir leur politique monétaire, favorisant la détente sur les marchés obligataires. En conclusion, si la dynamique de l’activité semble moins prometteuse qu’il y a quelques mois, le relâchement des conditions financières permet aux marchés d’espérer.


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