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HAUSSE DES TAUX LONGS ET MOROSITÉ EN CHINE Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2023-09-07


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Jusqu’à présent, l’été s’est déroulé plutôt calmement sur les marchés boursiers. Après un mois de juillet tiré par les leaders américains de la technologie et porté par des résultats trimestriels sans réelles surprises, les indices ont subi un modeste coup de frein suite à la hausse des taux d’intérêt à long terme et aux déceptions économiques chinoises (baisse des principaux marchés boursiers de 2 à 3%, qui les ramène à leurs niveaux du début du mois de juillet et à des performances d’environ 10 à 12% depuis le 1er janvier pour les principaux indices mondiaux, exprimées en euro).

Soft landing aux Etats-Unis et inquiétudes en Chine

Le scénario de base adopté par les marchés financiers semble un peu moins pessimiste qu’au début de l’été. Les économistes de la Banque centrale américaine (Fed) ont abandonné l’idée d’une récession modérée pour adopter le scénario d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine (soft landing). De nombreux bureaux de prévisions économiques leur ont emboité le pas. Les indicateurs économiques publiés durant l’été sont de fait plutôt favorables, en particulier les ventes de détail qui témoignent de la bonne santé financière du consommateur américain et de la fermeté du marché de l’emploi. La décélération de l’inflation jointe à la hausse des salaires à un rythme qui semble ne plus vouloir diminuer (un peu plus de 4% par an) soutient le revenu réel des ménages (après inflation). Le processus de désinflation s’est poursuivi, plutôt en ligne avec les attentes des économistes. Grâce à la contraction des prix énergétiques et des effets de base significatifs, l’inflation totale mesurée par l’indice PCE n’est plus que de 3,3% sur un an, son niveau le plus faible depuis avril 2021. En excluant les prix énergétiques et l’alimentation, la hausse des prix sur un an est de +4,2%. Même si les craintes sur l’inflation n’ont pas totalement disparu parmi les responsables de la Réserve fédérale, ce qui explique la prudence opportune affichée dans leurs propos récents (cf. le discours du président de la Fed Jérôme Powell à l’occasion du symposium de Jackson Hole), le contexte macroéconomique américain est plutôt rassurant, en dépit des commentaires peu amènes de l’agence de notation Fitch sur le poids de la dette fédérale.

Il n’en est pas de même pour la Chine qui ne parvient pas à s’extirper de ses problèmes immobiliers. Les espoirs quant à une reprise vigoureuse de son économie après l’abandon de la stratégie « zéro Covid » ont été douchés par l’accumulation d’indicateurs décevants. Le secteur manufacturier souffre d’une correction des stocks qui accompagne la normalisation des chaines logistiques et de production dans le monde. La consommation reste atone malgré la reprise des voyages et du tourisme, alors que la crise du secteur immobilier (un quart du produit intérieur brut chinois concerné directement et indirectement) n’est toujours pas résolue. Les déboires du promoteur Country Garden (176 milliards d’euros de dettes selon l’agence Bloomberg) frappé notamment par l’échec de son extravagant projet Forest City en Malaisie (100 milliards de dollars) rappellent ceux du promoteur Evergrande il y a deux ans. Ce dernier s’est d’ailleurs récemment rappelé au bon souvenir de ses créanciers en se plaçant sous la protection de la loi sur les faillites (chapitre 15) aux États-Unis, afin de permettre de trouver un accord sur la restructuration de sa dette soumise à la législation américaine. Les difficultés financières des promoteurs et leurs conséquences sur la santé financière des collectivités locales alimentent les doutes sur le shadow banking (circuits de financement non bancaires qui pèsent 60% du PIB selon le Financial Stability Board). Les mesures de relance adoptées par Pékin et la Banque populaire de Chine ont jusqu’à présent un impact très limité sur l’activité et la demande finale. Le thème de la déflation a d’ailleurs refait surface durant l’été tandis que les marchés boursiers et les devises asiatiques sont frappés de morosité. Plus inquiétant encore : alors que nous avons déjà évoqué la dégradation de la gouvernance publique depuis le XXème Congrès du Parti communiste chinois qui consacra la mainmise sur l’ensemble de l’appareil d’État d’un seul courant politique dirigé par Xi Jinping, les bureaux locaux d’analyse prévisionnelle souffrent aujourd’hui d’une pression politique accrue dans le but de masquer ou à tout le moins d’édulcorer la réalité des problèmes économiques et sociaux. Symbole révélateur de cette brutale dégradation de la transparence, l’indicateur très suivi du chômage des jeunes de 16 à 24 ans (21,3% en juin dernier) ne sera plus publié par le Bureau national des statistiques. La prime de risque politique qui frappe les actifs chinois - l’écart de valorisation entre les actions américaines et les actions chinoises est au plus haut depuis l’an 2000 - est parfaitement justifiée : les standards de valorisation dont bénéficient les actifs financiers des économies libérales ne peuvent servir de référence dans une autocratie qui s’éloigne un peu plus des bonnes pratiques de gouvernance alors que la résolution de ses difficultés structurelles nécessite transparence et rationalité, et exige au passage un réchauffement des relations avec les États-Unis.

Dans la zone euro, malgré le choc énergétique lié à l’Ukraine, l’activité a regagné un peu de dynamisme depuis la très légère récession technique de l’hiver 2022/2023. Il est utile de rappeler que pour l’Union européenne, les importations de gaz naturel entre le second semestre 2021 et avril 2023 ont représenté un surcoût d’environ 260 milliards de dollars (1,7% du PIB de l’UE de 2022 !). Mais cette meilleure résistance de l’économie dans les services ne permet pas d’espérer mieux qu’une médiocre stagnation du PIB dans le proche avenir, probablement jusqu’au printemps 2024. La poursuite de la désinflation et son impact favorable sur le revenu réel des ménages sont seuls à même de compenser la correction générale des stocks dans les secteurs industriels, la récession qui frappe le secteur de la construction neuve résidentielle, et le ralentissement de la demande en provenance de la Chine et des États-Unis. La question la plus prégnante reste néanmoins la trajectoire de l’inflation dans les prochains mois, alors que la faiblesse des gains de productivité contribue à accroître les coûts unitaires de production.


Pressions à la hausse sur les taux d’intérêt longs

Malgré la réalité du processus de désinflation (surtout visible aux États-Unis) et les pressions déflationnistes en Chine, les taux d’intérêt à long terme tant nominaux que réels (après inflation attendue) ont repris leur progression. Nous observons une repentification des courbes de taux d’intérêt mesurées par l’écart entre les rendements des obligations souveraines à 10 ans et à 2 ans. C’est particulièrement vrai du côté américain où les taux réels à long terme ont à nouveau atteint la barre symbolique de 2% (plus haut niveau depuis 2009) après avoir reflué aux alentours de 1,2% au printemps dernier. Le taux de rendement nominal à 10 ans des obligations du Trésor a atteint 4,3%, son plus haut niveau depuis 2007, avant de se stabiliser autour de 4,1% à la fin du mois d’août. Il est important de noter que ce n’est pas l’inflation qui semble poser problème aux agents économiques - leurs anticipations reflétées dans les marchés des inflation linked bonds sont plutôt stables. Il s’agit bien d’une hausse des taux réels dont l’explication ne remporte pas l’unanimité. Certains observateurs évoquent la faiblesse des devises asiatiques qui alimente la vente des bons du Trésor américains par les banques centrales (Chine, Japon), alors que simultanément les besoins de financement des États-Unis sont supérieurs aux attentes (conséquence du succès des crédits d’impôts liés au programme de dépenses d’infrastructure IRA – Inflation Reduction Act ; déficit budgétaire fédéral 2023 supérieur aux prévisions du Congressional Budget Office à 6,3%). D’autres mettent en avant la prise de conscience des investisseurs au sujet de la politique monétaire de la Fed qui pourrait se révéler plus restrictive pour une durée plus longue, en insistant sur les risques de résistance à la baisse de l’inflation dans les prochains mois. Quel que soit le facteur dominant, la situation n’est pas sans danger pour la valorisation des actifs risqués et des actifs immobiliers très dépendants des coûts de financement. Dans ce contexte, nous soulignons la solidité du dollar, à rebours des analyses qui ont fleuri après que l’agence Fitch a dégradé la note des États-Unis de AAA à AA+.

Quelques mots sur les résultats du deuxième trimestre des sociétés cotées : les publications ont permis aux attentes des analystes de se stabiliser pour l’année 2023, ce qui est déjà une bonne nouvelle. Cela prouve aussi que l’incidence globale de cette saison de publications est plutôt neutre sur les estimations des investisseurs. Toutefois, si les marges bénéficiaires nettes des entreprises américaines (11,5%) sont stables entre le premier trimestre de l’année et le deuxième, la contraction est tout de même de 2% sur les douze derniers mois. Les États-Unis sont donc sans doute déjà sortis de cette extraordinaire période de « greedflation » (néologisme anglo-saxon obtenu par la contraction de greed - cupidité - et inflation) qui a vu de nombreuses entreprises augmenter leurs prix de vente à un rythme très supérieur à celui de l’inflation de leurs coûts de production, alimentant par la même occasion la hausse des prix à la consommation. Force est de constater que la valorisation actuelle du marché américain (rapport cours/bénéfices estimés à 12 mois supérieur à 19, contre une moyenne historique à 5 ans à 18,6 mais dans un contexte de taux d’intérêt beaucoup plus bas) ne reflète en rien la perspective de la fin de cette période de pricing power exceptionnel. Pour la première fois depuis 2008, l’écart entre le rendement des free-cash-flows des sociétés américaines cotées (attendus en 2023) et celui de l’obligation du Trésor à 10 ans en dollar est négatif. De plus, les analystes prévoient une hausse des marges bénéficiaires en 2024 et une croissance des profits d’environ 10% (contre une stagnation en 2023) ! Les risques de révision du consensus nous paraissent élevés. L’Europe, où les valorisations sont plus raisonnables, fait face au même obstacle pour l’année 2024, même si le cycle des profits est en retard sur celui des concurrents américains.

Nous pouvons légitimement nous étonner de la bonne résistance des indices boursiers durant l’été, en dépit de la pression à la hausse exercée sur les taux réels. En réalité, le poids toujours plus élevé d’une poignée de valeurs phares à dominante technologique (Apple, Microsoft, Nvidia, Amazon.com, Alphabet, Tesla,…), dont certaines sont tirées par l’engouement pour l’intelligence artificielle (IA) générative, explique l’inertie des grands indices. A noter que les dix plus grandes sociétés concernées représentent à elles seules près de 20% des indices boursiers mondiaux. La bonne santé des marchés tient donc à la dynamique de titres devenus ultra consensuels parmi les investisseurs qui les considèrent pratiquement comme des valeurs refuges. Les résultats de bonne facture du deuxième trimestre justifient en partie cet engouement et le positionnement agressif des gérants d’actifs. Toutefois, la valorisation de ces leaders, qui ne sont pas complètement immunisés face au ralentissement de la croissance économique, ne pourra pas se décorréler indéfiniment de l’évolution des taux d’intérêt réels (prise en compte de son impact sur leur valorisation théorique), comme le montre la consolidation de quelques pourcents des principaux indices technologiques américains depuis le 1er août. Les attentes élevées des investisseurs à l’égard de l’IA générative - alors que son impact est jusqu’à présent globalement limité sur les profits, en dehors de quelques spécialistes - pourront conduire à des déceptions si le déploiement rapide de cette technologie ne se traduit pas en monnaie sonnante et trébuchante. Nous parions ainsi sur davantage de divergence au sein des performances boursières des acteurs de la technologie dans les prochains mois.


Conclusion

Notre message de prudence exprimé dans la note mensuelle publiée au début du mois de juillet s’est plutôt trouvé conforté par la publication des statistiques macroéconomiques des dernières semaines et par la hausse des taux d’intérêt réels à long terme. Si les États-Unis semblent s’éloigner du scénario de récession (grâce à sa politique budgétaire et au marché de l’emploi), la reprise économique de la Chine, longtemps moteur de l’économie mondiale et qui souffre aujourd’hui d’un réel problème de gouvernance, s’essouffle dangereusement. L’Europe pâtit de la faiblesse des gains de productivité et de la hausse des coûts unitaires de production qui posent la question du risque de freinage du recul de l’inflation hors énergie et alimentation.

Si la dernière saison des résultats trimestriels a été satisfaisante dans l’ensemble, les marges reculent aux États-Unis tandis qu’elles résistent en Europe, alors que les secteurs les plus exposés à la consommation des ménages sortent de la période exceptionnelle de « greedflation » (volonté des entreprises de monter leurs prix de vente bien au-delà du nécessaire, à un rythme supérieur à celui de la hausse de leurs coûts de production). De ce point de vue, les consensus bénéficiaires pour les prochains trimestres semblent trop optimistes.

Si la hausse des rendements obligataires permet aux investisseurs de rehausser la duration (mesure de la durée moyenne d’investissement) de leurs portefeuilles investis en titres à revenu fixe, après des années de rendements misérables, la hausse des taux réels fragilise les indices boursiers dont la valorisation reflète un scénario plutôt rose, surtout pour l’an prochain. Dans ce contexte toujours incertain, nous ne privilégions pas un style de gestion particulier et conseillons de garder un bon équilibre au sein des portefeuilles.


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