Mots-clés: rebond, normalisation des chaînes de valeurs, saison des résultats, matières premières, taux, Ukraine, anticipations des marchés, inflation, resserrement, pouvoir d'achat, banques centrales, crise énergétique, etc.
Il n’est pas extraordinaire d’observer des phases de rebond des indices actions durant des épisodes baissiers. L’histoire boursière regorge d’exemples de reprises techniques favorisées par de brefs moments de retour au calme et par l’opportunisme d’investisseurs à la recherche d’occasions d’achat à bon compte. Néanmoins, on ne peut nier que la reprise observée entre la mi-juin et la mi-août fut d’une ampleur bien supérieure à ce que pouvaient espérer les observateurs les plus optimistes. Les actions mondiales ont enregistré une performance proche de 15% sur cette période, en dollar, et même de l’ordre de 18%, exprimée en euro. Grâce à la vigueur du dollar, et malgré la correction provoquée par le ferme discours du président de la Réserve fédérale Jerome Powell durant le symposium de Jackson Hole (lire ci-dessous), les actions mondiales n’abandonnent que quelques pourcents depuis le début de l’année (en euro), une performance inattendue dans un contexte de crises mondiales à répétition et de guerre en Ukraine. Certes, la performance pour les investisseurs de la zone dollar est bien moins séduisante, en particulier pour les valeurs technologiques qui perdent plus de 20% (en dollar) en dépit d’un retour en grâce des valeurs de croissance durant l’été.
Comment expliquer ce rebond ? Les marchés ont-ils raison d’espérer un ralentissement modéré de la croissance mondiale, ce que reflètent les consensus d’estimations des bénéfices des entreprises ? Sont-ils trop optimistes lorsqu’ils parient sur un reflux rapide de l’inflation en 2023 vers des niveaux compatibles avec les objectifs des banquiers centraux (cf. les swaps d’inflation) ? N’ont-ils pas péché par naïveté en estimant que le resserrement nécessaire des politiques monétaires était déjà largement reflété dans les courbes des taux d’intérêt ? Toutes ces questions ont rencontré un écho bruyant dans l’accueil pour le moins glacial[1] réservé au discours du président de la banque centrale américaine. Son allocution a littéralement douché les espoirs d’une pause dans le processus de resserrement des conditions financières dès l’automne prochain, et même, pour certains investisseurs, remis sérieusement en question les attentes déraisonnables d’un revirement complet de la politique monétaire dès 2023 (baisse des taux directeurs).
Nous avons expliqué dans notre note du mois de mai que la bonne tenue des marchés dans les semaines qui ont suivi le déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février dernier s’expliquait d’abord par un puissant effet d’inertie (réouverture des économies post-Covid et des secteurs pénalisés par les confinements successifs, effets positifs de l’inflation sur les marges des entreprises - choc de profitabilité lié aux volumes et aux prix - , consensus des analystes financiers exagérément prudent en début d’année). A l’époque, nous estimions devoir mettre cet effet d’inertie à profit pour réduire l’exposition au risque des portefeuille. La dégringolade des indices boursiers du printemps (jusqu’à la mi-juin) nous avait alors donné raison : l’affaiblissement progressif de ce phénomène favorable aux marchés d’actions fit place au dur retour à la réalité. Les craintes liées à l’inflation furent supplantées par des questions légitimes sur la vitalité de la croissance mondiale et les risques d’entrée de l’économie en récession. Pourtant, dès la mi-juin, les investisseurs regardèrent le tableau général avec des lunettes roses, en insistant presque uniquement sur les facteurs positifs :
1. Normalisation progressive des chaînes de valeurs (raccourcissement des délais de livraisons, désengorgement des ports, baisse des prix du fret…) malgré les questions autour de la stratégie zéro Covid de la Chine. Autrement dit, un facteur important qui alimentait l’inflation des prix à la production est devenu moins anxiogène. Seuls les semi-conducteurs sont encore loin d’une normalisation, et ce malgré la fragilisation des marchés de matériels électroniques grand public (smartphones, ordinateurs, consoles de jeux…).
2. Saison des publications des résultats du 2ème trimestre des entreprises encourageante. La vague d’avertissements sur les résultats que l’on pouvait légitimement craindre (cf. la forte hausse des coûts unitaires de production aux États-Unis au 2ème trimestre, +10,8% en base annuelle, profits records enregistrés en 2021) n’a pas eu lieu (pas de contraction généralisée des marges bénéficiaires), même si les discours des entreprises pour le reste de l’année sont logiquement empreints de prudence.
3. Correction des prix des matières premières - en dehors du gaz naturel - : les prix du pétrole (-20%), des matières premières industrielles et même des produits agricoles sont en baisse depuis les plus hauts niveaux enregistrés au printemps dernier, et ce pour de multiples raisons, la première étant bien évidemment la modération de la demande mondiale, en particulier le ralentissement économique de la Chine (politique zéro Covid et récession immobilière). Ce reflux des matières premières laisse augurer une décélération de l’inflation dans les prochains mois (effets de base).
4. Les taux d’intérêt souverains à long terme ont reflué, indiquant que les anticipations de resserrement monétaire et d’inflation ont atteint un point haut. Le taux des bons du Trésor américain à 10 ans affiche 3,20% contre près de 3,50% au printemps. Rappelons que la baisse des taux d’intérêt (réels) à long terme a un impact positif significatif sur la valorisation des actifs financiers à duration longue, en particulier s’agissant des actions de croissance, ce qui explique parfaitement la surperformance des valeurs technologiques entre la mi-juin et la mi-août par rapport au reste du marché et à la thématique « value ».
5. Un retour bienvenu de la diplomatie malgré l’enlisement de la guerre en Ukraine : sous l’égide de la Turquie et de l’ONU, les deux belligérants se sont mis d’accord pour permettre l’exportation par voie maritime de plusieurs millions de tonnes de céréales ukrainiennes par mois. Ce résultat est bien sûr très insuffisant au regard de l’évolution du conflit, mais c’est un premier pas qui permet à l’Ukraine de recouvrer approximativement 85% de ses capacités d’exportation de produits agricoles d’avant-guerre (en tenant compte de tous les moyens de transport actuellement utilisés, y compris la voie terrestre), ce qui éloigne un peu les risques de crises alimentaires en Afrique et au Moyen-Orient. Cet accord du 22 juillet dernier est valable pour une durée de 120 jours.
Le point fondamental à garder à l’esprit est que les prix de marché reflètent des attentes qui semblent optimistes ou pour le moins prématurées :
1. Les marchés ne croient pas à un changement de régime durable des prix dans les prochaines années et parient sur un reflux rapide des pressions inflationnistes à partir de 2023. Les contrats swaps d’inflation en dollar et en euro 5 ans dans 5 ans (inflation anticipée dans 5 ans pour une période de 5 ans) sont proches des niveaux moyens d’avant 2019 : 2,15% en euro et 2,65% en dollar. Les marchés ne croient donc pas à un emballement des anticipations des agents économiques, ni par conséquent à des changements durables de leurs comportements en termes de consommation et d’investissement. Ils mettent de côté les facteurs structurels qui pourraient alimenter la hausse des prix à long terme : la transition énergétique (et son impact sur la demande de matières premières et l’aggravation des phénomènes de rareté), le vieillissement démographique (surtout en Europe et en Chine), les tensions salariales sur les marchés de l’emploi (en partie conséquence de la démographie), l’abandon partiel des avantages comparatifs par la volonté politique de relocalisation et de souveraineté industrielle, les contraintes de production et d’offre liées au resserrement des conditions financières.
2. Les investisseurs ne croient pas à un resserrement monétaire de longue durée. Les taux réels restent dérisoires (à peine +0,5% pour le taux souverain réel à 10 ans en dollar, taux réels toujours négatifs en euro).
3. L’appétit pour les actions observé entre la mi-juin et la mi-août et la valorisation des actions américaines témoignent d’un consensus plutôt optimiste : ralentissement modéré de la croissance économique (soft landing) et par conséquent bonne tenue des marges et des profits des entreprises. Il est bon de rappeler que les actions américaines (60% de la capitalisation boursière mondiale) sont valorisées à plus de 18 fois les résultats attendus cette année ; le multiple de valorisation était tombé à 15 fois les bénéfices à la fin du 4ème trimestre 2018, lorsque les investisseurs commencèrent à prendre peur des effets du resserrement monétaire de la Réserve fédérale à l’époque (les taux longs dépassaient 3%). Selon le consensus des analystes, les bénéfices agrégés devraient progresser d’environ 9% en 2022 et 8% en 2023. Nous sommes bien éloignés du scénario d’une récession des profits.
1. La perte de pouvoir d’achat réel des ménages. La demande finale a été artificiellement soutenue par les gouvernements durant la crise de la Covid-19. Les aides actuelles (surtout en Europe face à la crise énergétique) et l’inflation salariale (surtout du côté américain) ne compensent pas la perte de pouvoir d’achat liée au choc inflationniste. L’impact sur la consommation des ménages n’est pas encore réellement perceptible car les secteurs des services ont bénéficié encore très récemment des réouvertures des économies post-Covid (transport aérien, tourisme, hôtellerie, etc.). Toutefois, après la ruée sur les achats de biens d’équipements et d’appareils électroniques durant les confinements, les signes de faiblesse de la consommation se multiplient.
3. L’ampleur et la durée du resserrement des conditions financières (liées en partie au point précédent). Nous sortons de l’économie de bulles dans laquelle les plus jeunes générations d’investisseurs ont vécu depuis 2009 ! La hausse du coût du capital est une réalité alors que la transition énergétique nécessite des investissements vertigineux de l’ordre de 4 000 milliards de dollars par an pour espérer atteindre les objectifs climatiques (au maximum 1,5° à 2° de hausse moyenne des températures par rapport à l’ère préindustrielle). L’écartement des différentiels de taux entre les obligations d’entreprise et les emprunts souverains est significatif, en particulier pour les émissions de moindre qualité. Les États eux-mêmes ont mangé leur pain blanc : la dominance fiscale (la politique monétaire subordonnée à la politique budgétaire) et la Théorie Monétaire Moderne très en vogue dans les milieux progressistes américains (monétisation sans limite de la dette publique par création monétaire et choix délibéré de négliger les risques d’inflation) semblent enterrées pour longtemps. Il sera évidemment politiquement pénible voire suicidaire pour les gouvernements de revenir à davantage d’orthodoxie budgétaire.
4. La crise de l’énergie en Europe. En zone euro, plus de la moitié de l’inflation est directement et indirectement liée aux prix énergétiques qui atteignent de nouveaux records sur les marchés du gaz naturel et de l’électricité. Les salaires sont toutefois moins sous tension qu’aux États-Unis. L’inflation est donc avant tout la conséquence d’au moins vingt ans d’idéologie au pouvoir et de choix stratégiques désastreux (désinvestissements et pertes de compétences dans le nucléaire français dès le début des années Mitterrand ; abandon de l’atome par l’Allemagne et choix du gaz russe pour promouvoir une politique mercantiliste finalement assez peu pro-européenne). Toutefois, la Banque centrale européenne n’a d’autre choix que de resserrer sa politique monétaire. La hausse des 50 points de base de ses principaux taux directeurs le 21 juillet dernier (la première depuis onze ans) n’est évidemment que le début du processus pour assurer l’ancrage des anticipations. La crise du gaz (24% du mix énergétique européen avant crise, et 9% pour le seul gaz russe) est malheureusement devant nous, et pourrait propulser l’inflation à plus de 10% en base annuelle à la fin de l’année. Selon de nombreux bureaux de recherche économique, l’objectif de l’Union européenne d’une baisse de la consommation de 15% n’est pas suffisant pour envisager l’hiver prochain avec sérénité (il faudrait plutôt envisager 20 à 25% de réduction de la demande). Dans un scénario météorologique en ligne avec les moyennes saisonnières, les stocks stratégiques de gaz naturel seront épuisés au printemps 2023, posant un problème aigu pour la saison 2023/2024. La probabilité de rationnements touchant l’industrie est élevée : la diversification des approvisionnements en gaz et la reconstitution des stocks ne permettent que de tenir au mieux jusqu’en février. La sécheresse en Europe pénalise la production hydroélectrique alors que le parc nucléaire français est très en-dessous de ses capacités (maintenance et arrêts multiples suite à des phénomènes inquiétants de corrosion après deux décennies d’imprévoyance et de sous-investissement). A cela s’ajoutent les mécanismes de fixation des prix de gros de l’électricité basés sur les coûts marginaux des dernières centrales mises en production, le plus souvent des centrales à gaz et parfois à charbon (sujet que la Commission a décidé de traiter). Les investissements dans le renouvelable et dans les infrastructures de GNL ne pourront avoir un effet que dans douze à dix-huit mois au plus tôt, à condition que les gouvernements favorisent les investissements du secteur privé (taxer les superprofits au lieu d’inciter les groupes énergétiques à investir davantage leurs excédents de trésorerie dans le renouvelable serait contre-productif).
5. Les conséquences de la guerre en Ukraine. L’appréciation des conséquences du conflit par les marchés laisse perplexe. Il semble que les investisseurs ont davantage porté leur attention sur la pause estivale, profitant largement des délices de Capoue après deux années de pandémie, plutôt que sur un des évènements géopolitiques majeurs du XXIème siècle. Le lecteur est suffisamment informé par les médias pour nous éviter de devoir énumérer ici la liste exhaustive des risques que nous courrons. La question qui nous parait intéressante à ce stade est de savoir combien de temps les populations européennes accepteront de soutenir les gouvernements démocratiquement élus les plus hostiles à la Russie, et combien de temps elles voudront supporter le coût financier d’une guerre par procuration et les effets boomerang des sanctions occidentales (crise énergétique). Les élections italiennes du 25 septembre prochain, qui devraient amener au pouvoir un bloc des droites dominé par son aile la plus radicale, seront à n’en pas douter du plus grand intérêt puisque le président du Conseil sortant, Mario Draghi, fut l’un des chefs de gouvernement les plus hostiles au Kremlin.
Commençons par estimer un point bas pour l’indice S&P 500 dans l’hypothèse d’une stabilité des profits en 2023 sous l’effet du ralentissement de l’activité américaine (consommation des ménages sous pression - perte de pouvoir d’achat réel -, resserrement des conditions financières pour les entreprises, recul des marchés immobiliers), de la hausse des coûts unitaires de production, du ralentissement plus prononcé de la demande mondiale sous l’effet notamment d’une plus forte contraction de l’activité européenne touchée par la crise énergétique, et de la force du dollar alors que 40% des revenus des entreprises américaines sont générés à l’international. Nous insistons sur le fait que notre hypothèse n’est pas le pire scénario que l’on puisse imaginer (révision à la baisse des profits attendus en 2023 d’à peine 7 à 8%). Nous valorisons le marché à 15 fois ces résultats de bas de cycle et obtenons 3 400 points pour l’indice S&P 500, soit un peu plus de 15% de potentiel de baisse. Devons-nous attendre ce niveau pour acheter ? Non, puisqu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un objectif, mais plutôt d’un scénario possible. Il est évident que si l’environnement général s’améliore sur le front de la guerre en Ukraine et de l’inflation, l’appétit pour le risque sera rapidement de retour. Mais pour le moment, nous recommandons la plus grande prudence tant que les marchés n’auront pas accepté l’idée que la lutte contre l’inflation passera inévitablement par une politique monétaire plus restrictive et un ralentissement prononcé de l’économie, voire une récession afin de modérer suffisamment la demande et de refroidir le marché de l’emploi. Le consensus ne s’est pas ajusté à un tel scénario. Soit il est trop optimiste sur la trajectoire à long terme de l’inflation en privilégiant l’hypothèse d’un ralentissement modéré et passager de l’activité économique (soft landing), sans resserrement prononcé des conditions financières, soit, si sa vue sur l’inflation s’avère correcte, elle est incohérente avec ses anticipation sur les taux d’intérêt réels, l’évolution du PIB et celle des résultats futurs des sociétés.
Si les marchés ont réellement cru durant l’été à la fin du marché baissier, c’était pour le moins largement prématuré. Le symposium de Jackson Hole a finalement remis les pendules à l’heure. Le resserrement des politiques monétaires sera plus douloureux et plus long ; la croissance économique sera davantage impactée. Pour finir, l’économie de bulles qui a favorisé les marchés financiers depuis la crise des subprimes de 2008 est bien derrière nous, ce que de nombreux investisseurs ont le plus grand mal à accepter. Dans ce contexte, nous préférons conserver l’attitude prudente que nous privilégions depuis le début du conflit en Ukraine.
[1] Indices américains en chute de 3 à 4% durant la séance 26 août.
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