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Le retour des thèmes géopolitiques Dominique Marchese, 2024-06-04

Mots-clés: Récession, Inflation, FED, BCE, Croissance, Géopolitique, Soft Landing, Diversification.

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Les bourses mondiales sont restées plutôt robustes durant le mois de mai, actant définitivement le fait que la récession mondiale sera évitée cette année. Les consensus bénéficiaires sont portés par une saison des publications des résultats plutôt rassurante. Le volume d’activité des secteurs cycliques semble avoir atteint son point bas durant l’hiver. La pause observée dans le processus de désinflation ne remet pas en cause le scénario de base. La politique de la Réserve fédérale (Fed) reste dépendante des données, alors que la Banque centrale européenne (BCE) s’apprête à baisser ses taux directeurs. Les thèmes politiques pourraient néanmoins revenir à l’avant-plan des préoccupations des investisseurs.

LE SCÉNARIO DE SOFT LANDING RESTE D’ACTUALITÉ


Les statistiques macroéconomiques publiées ces dernières semaines n’ont pas apporté d’éléments neufs dans l’analyse de la situation. La croissance mondiale est un peu meilleure que prévu, grâce surtout aux États-Unis, et à la Chine dans une moindre mesure. Les révisions à la baisse du consensus ont cessé pour la zone euro où l’on observe même un petit redressement des indicateurs avancés dans les services. 2024 ne sera donc pas synonyme de récession mondiale, mais le scénario de soft landing (atterrissage en douceur de l’économie) reste le plus probable. Les États-Unis présentent quelques signes de faiblesse très relatifs et plutôt logiques : les excédents d’épargne accumulés durant la pandémie sont à présent épuisés ; la consommation (2/3 du PIB) est toutefois pilotée par la progression des revenus disponibles des ménages qui restent sur une tendance positive. Malgré un léger refroidissement sur le marché du travail, les fondamentaux de l’économie américaine restent plutôt solides.
Du côté de l’inflation, la pause observée depuis quelques semaines ne remet nullement en cause le processus général de désinflation. Comme nous l’indiquions dans notre précédente lettre mensuelle, il est logique que les séries statistiques présentent un peu de volatilité. Il est plus facile de passer dans premier temps de 10% d’inflation annuelle à 3% que de 3% à 2%, l’objectif de la Fed et de la BCE. Nous n’observons toutefois pas de tensions majeures sur les prix de l’énergie et des matières premières, ni sur les marchés du travail (modération salariale toujours d’actualité). Il est intéressant de noter que la faiblesse de la demande intérieure en Chine alimente les pressions déflationnistes vers le reste du monde : les capacités de production chinoises cherchent désespérément des débouchés à l’exportation, le déferlement de véhicules électriques étant symptomatique d’un modèle de croissance qui demeure avant tout mercantiliste. Si la Fed n’a de son côté aucune raison objective de se presser pour assouplir sa politique monétaire en 2024, la BCE est prête à mener une politique divergente en baissant ses principaux taux directeurs avant la banque centrale américaine. Notons que les taux d’intérêt réels à long terme (2,1% du côté américain et 0,8% dans la zone euro), basés sur les anticipations d’inflation, sont parfaitement compatibles avec la croissance économique potentielle des zones concernées, et indiquent par conséquent que les taux d’intérêt à long terme reflètent des conditions financières plutôt neutres, et aucunement restrictives.
Comme nous l’avons expliqué à de multiples reprises, le scénario de soft landing couplé au processus de désinflation est particulièrement favorable aux actifs risqués en général, et aux actions en particulier, en progression de plus de 10% depuis le début de l’année. Toutefois, le redressement des taux d’intérêt réels appelle à une pause bienvenue dans la trajectoire haussière des indices actions initiée au début du mois de novembre 2023. Le rendement mondial des free cash flows est égal à 3,8%, un niveau inférieur à sa moyenne historique des dix dernières années (4,5%), dans un contexte où les rendements obligataires offrent des alternatives attrayantes aux investisseurs. La prime de risque de la bourse américaine, dont le rapport cours sur bénéfices attendus dans les douze prochains mois dépasse 20, niveau supérieur à sa moyenne à dix ans (17,8), est particulièrement faible, écrasée par la valorisation élevée des valeurs technologiques soutenues par l’engouement pour l’intelligence artificielle (IA) générative. Le temps des prises de profits est-il enfin venu ? Si la valorisation élevée des marchés n’a jamais été un bon indicateur avancé de retournement des indices, il nous semble utile de réfléchir aux causes possibles d’une consolidation dans les prochains mois. C’est du côté des sujets géopolitiques qu’il nous faut être vigilants.

LES ENJEUX GÉOPOLITIQUES INSUFFISAMMENT PRIS EN COMPTE PAR LES INVESTISSEURS ?


Les sujets géopolitiques ne manquent pas en 2024. La très nette dégradation des relations internationales, illustrée par la guerre en Ukraine, l'escalade au Proche-Orient et les tensions en mer de Chine méridionale, témoigne d’un réel ensauvagement des rapports entre les peuples. L’ensemble des nations se disloque en un bloc libéral et démocratique opposé à un groupe hétérogène et aux intérêts souvent divergents de régimes autoritaires unis par leur volonté commune de contester la suprématie de l’Occident dans la gestion des affaires du monde. Le concept de Sud global renvoie à la perte d’influence des démocraties libérales, notamment en Afrique où se déploient sans scrupules les ambitions des démocratures. Plus généralement, le retour des aspirations impériales de la Russie, de la Chine, de la Turquie et de l’Iran menace les équilibres régionaux. 2024 est aussi une année d'échéances électorales capitales avec en ligne de mire le retour possible de Donald Trump aux affaires. Son incroyable résilience masque un phénomène plus inquiétant de fragilisation irrémédiable des sociétés démocratiques, dont le mode de fonctionnement n’est plus capable de fédérer le plus grand nombre autour de valeurs et de projets communs. Les enjeux ne manquent pourtant pas : le dérèglement climatique, la crise migratoire, la guerre contre les narcotrafiquants, les politiques industrielles souverainistes, le réinvestissement dans l’éducation, la santé et la défense sont autant de sujets qui nécessitent davantage d’intelligence collective.
Quelques mots sur l’enjeu des élections européennes : alors que l’UE est caractérisée par l’absence de politique industrielle digne de ce nom, par comparaison avec les politiques plus efficaces menées par les États-Unis et la Chine, la résistance de ses peuples au fédéralisme (cf. l’inexorable poussée des droites radicales), justifiée par des années d’impéritie des institutions de Bruxelles, favorise les égoïsmes nationaux (cf. par exemple la résistance de l’Allemagne au développement de la filière nucléaire française dans le cadre de la transition écologique), et éloigne un peu plus la perspective de voir l’UE assumer une politique de grande puissance. En guise d’illustration de l’insoutenable inefficacité du « machin » - pour reprendre l’expression de Charles de Gaulle au sujet de l’ONU -, les fonds du plan de relance de 750 milliards d’euros décidé durant la pandémie n’ont été à ce jour utilisés qu’à concurrence d’un quart, malgré les énormes besoins d’investissement en Europe et son retard par rapport aux États-Unis et à la Chine, alors que les fonds américains à destination de l’IRA (Inflation Reduction Act signé par le président Joe Biden en août 2022 pour promouvoir la réindustrialisation dans les énergies vertes et les nouvelles technologies) ont été déployés à très grande vitesse. L’Europe est ainsi frappée par un manque aigu de compétences techniques et scientifiques indispensables lorsque l’on vise à un renforcement des industries réputées stratégiques. Collecter des fonds sans évoquer le manque de compétences de la population active consiste à mettre la charrue avant les boeufs, et à pérenniser une croissance potentielle à peine positive, très inférieure à celle de nos principaux concurrents. L’Italie par exemple, très en retard dans le déploiement du plan de relance, souffre du manque de ressources humaines qualifiées pour déployer de grands projets.
Les conséquences économiques et financières de la détérioration des relations internationales et de la vulnérabilité interne des démocraties occidentales sont déjà bien visibles. Les sanctions contre la Russie conduisent la Chine à réduire par prudence le poids des obligations du Trésor américain dans ses réserves de change, en faveur de l’or. Le renforcement des politiques protectionnistes justifiées souvent par des arguments spécieux (lutte contre le réchauffement climatique, réactions contre les subventions chinoises) diminue grandement l’efficacité de l’économie mondiale et favorise l’inflation. L’environnement anxiogène freine le cycle d’investissement des entreprises et la propension des ménages à consommer. L’argent public, rare et plus cher que par le passé, qui devrait être orienté en priorité vers de grandes causes nationales comme l’éducation, la santé et l’environnement, est saupoudré dans de vains projets souverainistes. Les énergies fossiles, solutions de facilité dans un monde fragmenté, continuent d’être abondamment utilisées, alors que les objectifs les plus ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre semblent de plus en plus hors de portée.
Dans ces conditions, les marchés financiers intègrent-ils correctement les enjeux géopolitiques ? Nous sommes loin de le penser, en dehors de cas spécifiques tels que les indices chinois qui souffrent d’une forte prime de risque politique. A tout le moins, les investisseurs ont intérêt à privilégier les stratégies d’allocation de portefeuille les plus flexibles et les plus diversifiées tant sur le plan géographique que sectoriel. Calculer les primes de risque dans un environnement de taux d’intérêt réels positifs est redevenu une nécessité.

CONCLUSION

Après sept mois de hausse des marchés boursiers, il est sans doute temps d’adopter une position plus prudente avant l’été. La valorisation actuelle des indices offre peu de place aux mauvaises surprises. Si rien ne semble annoncer une crise financière d’envergure dans les prochains mois, ni une nette dégradation des fondamentaux macroéconomiques et des perspectives bénéficiaires, nous sommes d’avis d’intégrer davantage les risques géopolitiques dans notre réflexion sur la stratégie d’allocation d’actifs. Notre principal conseil reste bien sûr la diversification dans le but de construire des portefeuilles capables d’encaisser les inévitables chocs de volatilité. Réduire le poids des segments de marché les plus chèrement valorisés, tant sur les actions que sur les marchés obligataires, nous parait être une tactique légitime. C’est d’ailleurs une réalité observée depuis quelques semaines sur les bourses : les petites et moyennes valeurs ainsi que les secteurs plus cycliques réputés « value » performent mieux que les grandes capitalisations et les valeurs technologiques.

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