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L’EUROPE PANIQUE ! Dominique Marchese, 2025-03-05

Mots-clés: Trump, US, UE, Géopolitique, Tension.

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Donald Trump avait annoncé la couleur durant la campagne électorale présidentielle. Pourtant, c’est dans la panique que l’Union européenne (UE) tente de réagir face aux menaces de tarifs douaniers et au virage géostratégique américain. Après avoir annoncé une révision de ses directives les plus contestées adoptées sous le 1er mandat d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission, l’UE semble vouloir détricoter une partie de ses programmes sur la transition énergétique, au bénéfice d’un renforcement significatif de ses capacités militaires de défense ; les priorités semblent avoir changé dans l’urgence. Les marchés prennent acte des tensions commerciales entre les États-Unis et le reste du monde. En bourse, les valeurs de l’écosystème IA sont durement malmenées.

L’Union européenne forcée d’agir – un peu de géopolitique

Ces dernières semaines, les Européens ont été bousculés à un point qui jusqu’à présent reste inédit dans l’histoire des relations internationales entre les démocraties occidentales (discours du vice-président américain J.D. Vance à la Conférence sur la sécurité de Munich, menaces claires d’augmentation des droits de douane de 25%, arrêt du soutien militaire à l’Ukraine et remboursement de l’aide octroyée par les États-Unis contre l’accès à ses terres rares, mépris clairement affiché à l’égard des institutions de l’UE…). Donald Trump aura finalement réussi ce que les crises à répétition des dernières années n’étaient pas parvenues à déclencher : le réveil de l’Europe au travers de deux ensembles d’initiatives dont le premier était très attendu depuis la publication du rapport Draghi. Il s’agit d’une part de cinq lois omnibus sur la compétitivité - la première présentée fin février nommée Clean Industrial Act - qui reposent avant tout sur un travail de simplification des normes (e.g. limitation du champ d’application des directives CSRD et CS3D) et sur une politique énergétique plus volontariste, et d’autre part d’un volet sécurité/défense qui sanctionne la volonté des États-Unis de se détourner des questions européennes et de faire la paix en Ukraine sur le dos du Vieux Continent. Pour ce qui concerne la compétitivité, beaucoup reste à faire comme nous l’expliquions dans notre lettre mensuelle précédente. Pour la défense, les efforts exigés sont gigantesques et posent la question des priorités des politiques communautaires entre lutte contre le réchauffement climatique, soutien à la compétitivité des secteurs en difficulté (automobile, acier, chimie…) et hausse des budgets militaires. Les marchés financiers ont choisi : la forte hausse des valeurs européennes de la défense et les tensions sur les taux d’intérêt reflètent les espoirs de changement radical de cap en Europe.

Nous rappelons néanmoins que lors du premier mandat d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission (2019-2024), l’adoption du Green Deal et le plan de relance baptisé NextGenerationEU avaient largement contribué à alimenter une bulle de valorisation dans le secteur des énergies renouvelables et l’hydrogène, bulle qui s’est depuis fracassée sur le mur des réalités de la crise énergétique de 2021-2022 (le cas de l’hydrogène est le plus symbolique). Les valeurs de la défense européennes sont-elles destinées à subir le même sort, après avoir connu des parcours boursiers exceptionnels ces dernière semaines ? La question peut sembler saugrenue compte tenu de la volonté affichée par les gouvernements européens de doper les dépenses militaires - des centaines de milliards d’euros sont évoquées - afin de crédibiliser leur politique extérieure et de recouvrer une certaine autonomie stratégique à l’égard des États-Unis. La gestion de la crise économique liée à la pandémie (émission d’une dette commune) et le traitement de la crise énergétique (succès incontestable dans le remplacement des importations de gaz russe) ont convaincu les marchés de la capacité des Européens à réagir avec célérité et efficacité dans les périodes de chaos. Dans le cas présent, à savoir la redéfinition des relations internationales, on peut toutefois s’étonner que l’Europe soit restée si peu active dans les semaines qui ont suivi la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle du 5 novembre 2024. Les crises politiques en France et en Allemagne ainsi que la période de transition avant l’entrée en lice de la nouvelle Commission européenne expliquent en partie cette léthargie. Pourtant, le 1er mandat de Donald Trump (2017-2021), ses prises de position à l’égard de la guerre en Ukraine, son programme électoral et ses discours ne laissaient aucune place au doute : l’Europe occidentale devrait assumer une part toujours plus importante de sa propre défense et ne plus se reposer uniquement sur le parapluie offert par l’OTAN . On peut légitimement penser que l’UE a trop tardé alors que la nouvelle Administration américaine confirme aujourd’hui le virage stratégique des États-Unis : leur seul adversaire reste la Chine, les autres pays, même réputés amis ou alliés, ne sont au mieux que des partenaires avec qui l’Oncle Sam signe des transactions.

L’UE et le Royaume-Uni ont-ils les moyens humains, financiers et industriels de leurs ambitions militaires ? Prenons-nous la direction d’une nécessaire entrée en « économie de guerre », expression largement galvaudée par des responsables politiques davantage portés sur la communication que sur l’action, tels Emmanuel Macron en juin 2022, et plus récemment son ministre de l’économie, Éric Lombard ? Ce nouveau choc, géopolitique cette fois, va-t-il renforcer davantage l’interventionnisme de l’État dans l’économie, qui profite de chaque crise (subprimes, dettes souveraines, réchauffement climatique, pandémie, crise énergétique…) pour renforcer son emprise sur la société via un déluge de normes et de réglementations ? Les conclusions du rapport Draghi sur la compétitivité de l’Union ont pourtant comme corollaire la nécessaire diminution du pouvoir de nuisance de l’État centralisateur dans l’économie, d’une réduction de son périmètre d’intervention face au besoin irréfragable de la sphère privée pour davantage d’oxygène, de liberté, de tranquillité, d’espace…, politique que l’Administration américaine vise précisément à déployer outre-Atlantique, à grands coups de dérégulation et de baisses d’impôts financées par les hausses de tarifs douaniers.

La problématique géostratégique qui se pose est la suivante. Depuis la fin de la Guerre froide, les Européens ont toujours utilisé le secteur de la défense comme variable d’ajustement budgétaire - le plus souvent en faveur de politiques sociales - en profitant de la sécurité offerte par l’OTAN. L’abandon de toute volonté de puissance a été synonyme de fin du service militaire, de diminution considérable des investissements dans les équipements, d’une chute des productions de stocks de munitions, d’une perte évidente de la culture militaire au sein des élites et des nouvelles générations qui n’ont pas vécu de guerres sur le Vieux Continent. Revenir en arrière constitue une gageure qui remettrait inévitablement en cause le but et donc l’organisation même de l’Union (construite avant tout comme un vaste marché unique). Une défense commune et des achats mutualisés d’équipement nécessiteraient davantage d’émissions de dettes communes, une révision des règles budgétaires européennes - sortie du secteur de la défense du calcul des déficits - , et sans doute davantage de fédéralisme, puisque la défense n’est pas un domaine réservé de l’Union. Il s’agirait d’une véritable révolution culturelle dans la mesure où chacun des vingt-sept pays membres de l’UE exprime des sensibilités très différentes en matière de politique étrangère - c’est le moins que l’on puisse dire (difficultés à concevoir une position commune à l’égard de la Turquie, de la Chine, de la Russie…).

Le nerf de la guerre reste l’argent. Or nous pouvons douter de la capacité de l’UE et de ses États membres à garder simultanément plusieurs fers au feu qui nécessitent des moyens financiers considérables. Le rapport Draghi estimait les besoins annuels d’investissements publics et privés à 750-800 milliards d’euros par an (5% du PIB de l’UE) pour rattraper le retard de compétitivité accumulé depuis au moins une décennie, et renforcer ainsi la croissance économique potentielle. En l’absence d’un véritable budget de l’UE, le dernier plan de relance présenté comme exceptionnel dans sa taille et son format - émission de dette commune - portait sur 750 milliards d’euros étalés sur plusieurs années. Par manque de projets et de compétences humaines, il faut souligner le fait inexcusable que les fonds sont loin d’avoir été entièrement consommés. Circonstance aggravante, les financements devaient reposer sur de nouvelles ressources propres à l’Union au travers d’un mécanisme de taxation du CO2 aux frontières. Les pays mercantilistes, l’Allemagne à leur tête, s’y étant finalement opposés, le mécanisme d’ajustement carbone ne frappera que les importations de produits de base (acier, ciment, engrais, aluminium…) à partir de 2026, et non pas les produits importés semi-finis et finis - une ineptie. Les fonds obtenus seront ainsi largement insuffisants pour rembourser les programmes d’aide aux États qui seront donc finalement mis à contribution ! Les investissements dans la transition écologique nécessitent des besoins immenses, sous-estimés par les gouvernements européens - le cas du retard considérable pris par l’Allemagne dans la refonte complète de son réseau électrique, régulièrement au bord d’un collapsus, est un cas d’école. Enfin, le vieillissement démographique du Vieux Continent est devenu ingérable dans les pays qui n’ont pas tenu compte de la pyramide des âges dans le déploiement de leurs politiques sociales - c’est l’origine du blocage politique en France. Bref, l’Europe va devoir choisir : ou sauver la planète ou protéger ses frontières en relançant une industrie de la défense qui pourtant ne fait pas partie des secteurs favorisés par la taxonomie européenne qui vise à attirer les flux de capitaux vers les activités les plus vertes - l’autonomie stratégique interdit de privilégier l’achat d’équipements américains. Les milieux progressistes devront manger leur chapeau ! Lorsqu’ils sont au pouvoir - leur influence est encore déterminante, comme le montre le contenu déjà décrié de la première loi omnibus -, ils ne manqueront pas de ralentir les efforts des Européens pour conquérir leur autonomie stratégique. En termes de chiffres, les dépenses militaires des vingt-sept se montent à 326 milliards d’euros en 2024, en hausse de 30% depuis 2021 (à prix courants), soit moins de 2% du PIB de l’Union, à comparer à environ 850 milliards de dollars du côté américain, soit près de 3% du PIB. Autrement dit, atteindre 3% du PIB européen - objectif symbolique qui doit être considéré comme un minimum - nécessite un peu moins de 200 milliards d’euros par an de dépenses supplémentaires. Et ces montants resteront fort éloignés d’une prétendue « économie de guerre » ! A la fin de la Guerre froide, en 1986, les États-Unis dépensaient encore 6% de leur PIB dans la défense ; le point haut fut atteint durant la guerre de Corée, à 14% en 1953.

La seule bonne nouvelle : les dépenses militaires russes atteindront à peine 130 milliards d’euros en 2025 (plus de 6% du PIB). La taille de l’économie de l’Union reste un atout évident pour financer son virage stratégique.

Le manque de capacité de prévision des gouvernements européens depuis vingt ans pourrait prêter à sourire s’il ne reflétait une évidente emprise de l’idéologie dans la gestion des affaires publiques. Certains diront que la prise de conscience de la nouvelle Commission européenne est tardive ; d’autres qu’elle est au contraire sous l’emprise de groupes de pression industriels, peu portés sur la défense de l’écologie. Ce qui se passe sous les yeux des investisseurs est en tout cas historique. A terme, cette crise aura comme conséquence deux éventualités opposées : soit une Europe davantage intégrée, dont les institutions seront redéfinies, avec un budget fédéral digne de ce nom qui exigera une union des marchés des capitaux et une plus grande intégration fiscale, soit l’hypothèse d’une menace existentielle si les États membres se montrent incapables de s’entendre rapidement sur l’essentiel. La progression des indices boursiers européens semble indiquer la préférence des investisseurs.

Les indices américains respirent, l’Europe pavoise

Alors que les indices européens profitent à plein d’un espoir de réveil de l’Union (résultats des élections allemandes, boussole pour la compétitivité), les marchés américains font du surplace. Les principaux indices boursiers dont les membres sont pondérés par leur capitalisation boursière souffrent clairement de la performance en retrait des « Sept Magnifiques » (leaders de la technologie que sont Alphabet, Amazon.com, Apple, Nvidia, Meta Platforms, Microsoft, Tesla), pénalisés par les questions sur la rentabilité des investissements dans l’intelligence artificielle (IA) générative, et ce particulièrement depuis les annonces concernant la startup chinoise DeepSeek (lire notre lettre mensuelle de février). Depuis leur sommet de décembre dernier, l’indice de ces sept icones de la bourse américaine est en retrait d’environ 15%. C’est en réalité l’ensemble de l’écosystème de l’IA qui souffre en bourse depuis plusieurs semaines : les semiconducteurs, les équipements à destination des datacenters, les producteurs d’énergies font l’objet de prises de profits parfois sévères compte tenu de la forte visibilité dans certains segments. L’intensification des tensions commerciales et la faiblesse de la confiance du consommateur américain contribuent également à la fragilisation des indices américains qui s’accompagne d’une baisse des rendements des obligations du Trésor (taux du 10 ans au plus bas depuis quatre mois).

Cette respiration de Wall Street est évidemment la bienvenue compte tenu de la cherté des valeurs américaines en général, et plus particulièrement des secteurs technologiques. Elle confirme surtout l’impérieuse nécessité de mieux diversifier les portefeuilles d’investissement en dehors des indices trop concentrés, car construits sur la base des capitalisations boursières. Nous notons que le principal indice de la bourse américaine équipondéré (chaque composant possède un poids identique indépendant de sa capitalisation boursière) tend d’ailleurs à surperformer depuis quelques mois. Cette méfiance à l’égard de l’IA générative profite en définitive à l’Europe dont les indices sont moins exposés aux secteurs technologiques. Les gérants internationaux arbitrent en faveur des actifs européens plus faiblement valorisés, ce dont profite notamment le secteur bancaire en hausse de 25% depuis le début de l’année.

Conclusion

La prise de conscience par les Européens de la nécessité d’un réveil est indéniable, mais il en faudra beaucoup plus pour corriger la décennie perdue et faire respecter l’Union sur la scène mondiale. La meilleure tenue des bourses européennes depuis le début de l’année, dans un climat économique qui reste pourtant globalement morose, reflète à la fois les espoirs suscités par le sursaut de l’Europe et la cherté des indices américains. Néanmoins, les investisseurs ne pourront pas se contenter plus longtemps d’un catalogue de bonnes intentions et tolérer l’exécution imparfaite sur le terrain des politiques publiques ambitieuses décidées au sommet. La gestion bancale et finalement décevante du programme de relance NextGenerationEU est l’exemple à ne pas reproduire.


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