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Patience est mère de toutes les vertus Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2022-11-09

Mots-clés: inflation, resserrement monétaire, enjeux, Chine, récession, etc.

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Le pire n’est jamais certain. Alors que beaucoup d’investisseurs anticipaient un mois d’octobre catastrophique, plusieurs évènements heureux et quelques facteurs parfois inattendus sont venus en soutien des principaux indices boursiers.

  • Les marchés ont salué le changement de premier ministre au Royaume-Uni et le virage budgétaire qui ont conduit à une forte détente des taux d’intérêt des Gilts (obligations souveraines en livre sterling).
  • Les prix de gros du gaz naturel en Europe ont baissé significativement sur le marché spot.
  • Les élections législatives italiennes et l’arrivée au palais Chigi de Giorgia Meloni n’ont pas conduit à une résurgence de la volatilité sur les marchés des dettes souveraines de la zone euro (légère décrue de l’écart entre les rendements des emprunts souverains italiens et allemands). Les investisseurs prévoient une certaine continuité dans les relations avec l’Union européenne et la politique économique menée par la nouvelle coalition au pouvoir (11 ministres sur 24 faisaient déjà partie du dernier gouvernement de Silvio Berlusconi de 2008-2011).
  • Les marchés ont également profité de la publicité des débats internes à la Réserve fédérale américaine autour de l’intensité du resserrement monétaire, ce qui n’a pas empêché le taux à 10 ans souverain en dollar de dépasser la barre des 4% et au taux hypothécaire à 30 ans d’atteindre un plus haut de vingt ans à 7% ! À l’occasion du dernier comité de politique monétaire (Federal Open Market Commitee), Jérôme Powell, le président de la Fed, a d’ailleurs rappelé opportunément son engagement ferme dans la lutte contre l’inflation, éloignant la perspective d’un pivot ou même d’une pause dans le processus de resserrement.
  • La saison des annonces des résultats du troisième trimestre confirme le scénario attendu de ralentissement économique, mais les révisions à la baisse du consensus se font « dans le calme ». Les investisseurs ne sont généralement pas surpris par la tonalité plus prudente des discours des directeurs financiers. Les publications rassurantes restent finalement assez nombreuses et concernent des secteurs aussi différents que la banque, la chimie, les biens d’équipement, les constructeurs automobiles, l’énergie, les télécommunications ou encore le secteur du luxe.

Nous noterons néanmoins la fin du statut de valeurs refuges des GAFAM (acronyme pour Alphabet - maison mère de Google -, Apple, Meta – maison mère de Facebook -, Amazon et Microsoft), statut gagné durant la crise sanitaire, et de quelques autres leaders du Nasdaq qui souffrent surtout de leur survalorisation dans un environnent de hausse significative des taux d’intérêt réels (Apple reste pour le moment une exception).
Seul sujet réellement préoccupant pour l’avenir de l’économie chinoise, l’environnement géopolitique mondial et l’exposition de nombreux groupes occidentaux à l’empire du Milieu, le XXème Congrès du Parti communiste a définitivement acté le virage très à gauche et dirigiste de Xi Jinping, reconduit au poste de secrétaire général du PCC, et la priorité donnée à la sécurité nationale, au risque de fragiliser le développement économique du pays.

Les facteurs positifs ne doivent pas faire oublier les grands enjeux

Les quelques évènements qui ont soutenu les marchés durant ces dernières semaines sont évidemment bienvenus. Cependant, ils ne changent pas fondamentalement les caractéristiques de l’environnement anxiogène, mélange de guerre, de choc inflationniste inédit depuis trente ans, de crise énergétique en Europe, de resserrement significatif des conditions financières induit par les politiques monétaires (surtout du côté de la Réserve fédérale), et finalement de ralentissement plus ou moins prononcé de la dynamique de l’activité économique. Du côté des prix, c’est bien la rigidité à la baisse de l’inflation sous-jacente (hors énergie) qui pose un véritable défi aux banques centrales (+6,6% aux États-Unis sur un an), alors que le pic de l’inflation totale est sans doute déjà dépassé. Cette rigidité témoigne d’une plus large diffusion de l’inflation dans l’économie, de marchés de l’emploi toujours solides (en particulier du côté américain), et de salaires qui progressent de 5 à 6% par an. Rappelons que la Fed et la Banque centrale européenne (BCE) ont pour objectif de ramener l’inflation totale à 2% en 2024, ce qui ne sera pas une sinécure. Les derniers commentaires de Jérôme Powell jugés plutôt « hawkish » par les marchés (associés à une politique restrictive) sont sans ambigüité : la Fed poursuivra sa politique de resserrement (principal taux directeur cible dorénavant à 5% en 2023 contre 3,75-4% à l’issue du FOMC du 2 novembre) pour lutter contre les pressions inflationnistes (sans exclure toutefois une moindre intensité dans l’ampleur et la vitesse du processus). Nous soulignons à ce propos le décalage de plus en plus manifeste entre la politique de la BCE et celle de la Fed. Le processus de resserrement des conditions financières est beaucoup moins avancé du côté de la zone euro. La BCE n’a toujours pas entamé la réduction de la taille de son bilan. Les plans de soutien budgétaire (plusieurs points de PIB) et la faiblesse de l’euro n’aident en rien les autorités monétaires européennes dans leur combat pour la stabilité des prix.


Du côté de l’activité économique, les signes se multiplient d’une baisse de l’activité dans les prochains mois, sans doute dès la fin de l’année en Europe (l’Allemagne est déjà entrée en récession), et plus tardivement aux États-Unis. L’économie chinoise reste décevante (crise immobilière, stratégie zéro-Covid, virage à gauche qui risque de ruiner l’effort d’innovation, sanctions américaines dans les nouvelles technologies). Jusqu’à présent, l’économie mondiale avait fait de la résistance grâce à la force d’inertie des effets post-Covid (réouverture des économies, reprise des secteurs des services notamment dans le tourisme), mais ces moteurs sont clairement en train de ralentir. Le brutal resserrement des conditions financières dans des économies aux acteurs publics et privés souvent très endettés, combiné à la forte dégradation du pouvoir d’achat des ménages, dont les revenus sont imparfaitement indexés à l’inflation - à de rares exceptions près -, milite pour un scénario plutôt sombre. Une croissance mondiale en volume attendue à 2,3% par le consensus pour 2023 (contre 2,9% pour année et 5,8% pour 2021) n’est pas une bonne nouvelle pour le profil de croissance des résultats des entreprises. Le consensus des économistes anticipait en début d’année année une croissance de 4,4% pour l’année en cours ; la brutalité de la décélération est à souligner.

A très court terme
, nous pouvons bien évidemment nous réjouir de quelques évolutions favorables. Nous mentionnions dans l’introduction les prix du gaz naturel en Europe sur le marché spot, qui reflètent les températures exceptionnellement clémentes jusqu’à fin octobre et le remplissage réussi des réserves stratégiques (récemment, quelques méthaniers croisant au large des côtes européennes auraient eu des difficultés à trouver preneur de GNL !). Sauf catastrophe météorologique, les Européens devraient avoir suffisamment de gaz durant l’hiver. Néanmoins, les questions sur la sécurité de l’approvisionnement et sur les prix se poseront à nouveau dès le printemps prochain. Les prix du gaz resteront élevés durant au moins deux ans car les nouvelles infrastructures de GNL destinées à contribuer à l’objectif d’un remplacement de 100% du gaz russe importé en Europe ne seront sans doute pas opérationnelles avant 2025. En outre, compte tenu des investissements nécessaires, les industriels exigent de la visibilité à long terme, autrement dit que ces infrastructures soient couvertes par des contrats d’approvisionnement sur au moins dix ou quinze ans, ce qui n’est pas le cas pour le moment (ceci explique aussi la grande prudence des pays producteurs de gaz qui observent l’Union européenne avec scepticisme, au sujet notamment du mécanisme de prix plafond qui n’a finalement pas été retenu). Ne négligeons pas non plus les facteurs qui devraient soutenir les prix du pétrole dans les prochaines semaines : l’embargo sur les produits pétroliers russes ne verra son plein effet qu’à la fin du mois de décembre. Le sous-investissement chronique dans le secteur pétrolier depuis 2015 et les capacités disponibles très faibles de l’OPEP (sans oublier les risques géopolitiques à nouveau très élevés en Iran et en Irak) laissent augurer des prix soutenus dans les prochains mois. Le scénario le plus embarrassant pour les consommateurs européens est une reprise éventuelle de la demande asiatique en pétrole et en GNL l’an prochain, en particulier celle de la Chine exceptionnellement faible en 2022. Car ce sont bien les confinements décidés par Pékin dans le cadre de sa stratégie zéro-Covid qui expliquent en grande partie la capacité de l’Europe à remplacer dans l’urgence plus de 40% du gaz russe importé avant la guerre par du GNL transporté par voie maritime. Une reprise de l’activité chinoise l’an prochain priverait l’Europe de méthaniers, ou du moins renforcerait la concurrence entre les zones géographiques pour l’accès à l’énergie.

La Chine n’est plus celle des années 2010

Quelques mots sur la Chine sont évidemment nécessaires après la débâcle des actions chinoises à l’issue du XXème Congrès du PCC. La prise de contrôle par Xi Jinping de l’appareil d’État n’est en rien une bonne nouvelle pour les investisseurs internationaux. Elle remet en cause le régime de gouvernement collégial instauré par Deng Xiaoping dans les années 80 et la méritocratie bureaucratique au sein du PCC. Durant trente ans, cette politique a pourtant permis aux meilleurs de gouverner la Chine et à l’innovation scientifique et technologique de s’épanouir (les meilleurs spécialistes de la Chine ont souvent comparé le PCC au corps des fonctionnaires-lettrés impériaux). Le retour à la dictature d’un seul renvoie aux jours sombres de l’ère Mao. Les gesticulations autour de Taïwan, qui jurent avec la légendaire prudence de Pékin, renforcent l’isolement de la Chine (sanctions américaines qui freineront inévitablement son développement) et accentuent le phénomène de « démondialisation ». L’élimination des factions et des voix discordantes au sein du Politburo et de son comité permanent pose la question de la gouvernance déjà soulevée par l’inefficace politique du zéro-Covid, la dégradation des relations avec l’Occident avant d’avoir atteint l’autarcie technologique et scientifique, le rapprochement de plus en plus gênant avec la Russie de Vladimir Poutine, les résistances affichées par de nombreux pays face au projet hégémonique de nouvelle route de la soie, et les difficultés à assurer la transition d’une économie structurée autour des exportations vers une économie entraînée par sa consommation intérieure alors que peu d’avancées ont été réalisées du côté de la protection sociale, et qu’aucune solution n’a été apportée à la question prégnante du vieillissement démographique. À très court terme, les actions chinoises pourraient être portées par la perspective d’une sortie de la crise du Covid (rally boursier de soulagement). À plus long terme, la mise à l’écart des membres du Politburo considérés comme libéraux, réformateurs et compétents en matière de pilotage économique national est sans doute le signal le plus négatif pour les investisseurs internationaux. L’écart de valorisation entre les actifs chinois (rapport cours sur bénéfices estimés à douze mois autour de 10) et les actions des démocraties libérales (rapport cours/bénéfices moyen autour de 15), reflet d’une prime de risque politique largement méritée et déjà alimentée par le resserrement de la régulation en 2020-2021, a peu de chance de se combler.

 

Conclusion

Au début du mois d’octobre, nous avions adouci notre discours très prudent en insistant sur la valorisation des marchés sans doute proches de niveaux d’achat dans une optique de long terme, et à condition que les taux d’intérêt réels ne progressent pas davantage. Le taux réel à 10 ans en dollar s’est depuis stabilisé dans une zone comprise entre 1,5% et 2%. Même si la Fed est loin d’avoir terminé la phase de resserrement de sa politique monétaire, la fermeté de la banque centrale américaine dans sa lutte contre l’inflation et l’objectif d’un taux directeur cible à 5% en 2023 donnent de la visibilité aux investisseurs toujours convaincus que les objectifs d’inflation des banques centrales seront près d’être atteints en 2024 (nous considérons néanmoins que ce sujet est loin d’être définitivement tranché dans la zone euro).

La stabilité des taux réels est un facteur essentiel pour les marchés boursiers. Celui-ci n’est pas le seul. La dynamique des profits déterminée par le profil de la croissance économique est l’autre facteur déterminant. L’ajustement du consensus des profits des entreprises a enfin démarré pour se conformer au scénario d’une courte récession mondiale entre la fin 2022 et le printemps 2023. Il n’est sans doute pas terminé. Autrement dit, il est trop tôt pour envisager le démarrage à court terme d’un nouveau cycle haussier des indices boursiers.

La valorisation des marchés n’est en aucun cas un catalyseur pour les performances des actions ; elle ne détermine que les rendements attendus à long terme. Les marchés auront en effet besoin de moteurs puissants et si possible synchronisés que seront les statistiques d’inflation enfin favorables (en particulier s’agissant de l’inflation sous-jacente) qui permettront d’envisager l’achèvement du processus de resserrement monétaire (voire le pivot vers une décrue des taux directeurs), et la fin de la dégradation des indicateurs avancés d’activité économique, synonyme de proximité du creux du cycle des profits des entreprises. Dans le meilleur des cas, il s’agit d’une question de quelques mois. Toutefois, à la lueur des évolutions récentes de marché, les occasions d’investissement se sont clairement multipliées. La valorisation de nombreuses sociétés cotées reflète déjà le scénario d’une franche dégradation de l’environnement économique.

Bien que nous jugions le moment peu propice à une révision significative des allocations en faveur des actifs risqués (n’oublions pas la guerre en Ukraine), les taux de rendement des actifs sans risque offrant d’ailleurs des alternatives attrayantes (fin du mantra TINA pour « there is no alternative », surtout sur le marché américain), les investisseurs avertis n’hésiteront pas à saisir les meilleures opportunités.


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